Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/361

Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
HENRY FIELDING.

livre, commencé avec l’intention de parodier le premier, devint, sous la plume de Fielding, une production originale et complète par elle-même, bien supérieure à l’ouvrage qu’elle voulait tourner en ridicule. Pamela est aujourd’hui à-peu-près oubliée, et Joseph Andrews se relit toujours avec plaisir. On a fait, il est vrai, sur le personnage d’Abraham Adams, les mêmes critiques que sur celui de Don Quixote. L’excellent curé, comme l’incomparable chevalier de la Manche, est trop souvent battu ; le rire qu’il provoque est trop souvent troublé par la compassion qu’il excite. Mais, malgré ce défaut qu’on ne saurait nier, Joseph Andrews a remporté sur Pamela la même victoire que Don Quixote sur les livres de chevalerie. Dans la préface, Fielding déclare qu’il a imité le style de Cervantes ; et, en effet, l’imitation est frappante. Mais on s’aperçoit aussi qu’il a mis à profit la lecture de Scarron, et qu’il emprunte au Roman comique le langage tragi-comique, perpétuelle caricature de l’épopée classique. On peut même, sans injustice, l’accuser d’avoir poussé trop loin l’emploi de ce moyen, qui dégénère quelquefois en pédantisme.

Le succès de Joseph Andrews irrita singulièrement Richardson. On sait que l’illustre auteur de Clarisse vivait d’hymnes et d’encens, comme une idole. Trop fier pour paraître s’occuper seulement de la façon dont Fielding l’avait traité, il se plaignit à ses admirateurs des deux sexes de la malheureuse prédilection de l’auteur pour tout ce qui est bas et trivial. Voici ce qu’on trouve à ce sujet dans sa correspondance : « Pauvre Fielding ! Je ne pus m’empêcher de dire à sa sœur à quel point j’étais étonné et affligé de voir combien il aimait et recherchait tout ce qui est bas et vil. Si votre frère, lui dis-je, était né dans une écurie ou eût été un coureur de mauvais lieux, on l’aurait pris pour un génie, et l’on eût désiré qu’il eût reçu le bienfait d’une éducation soignée et l’entrée de la bonne compagnie. »

Après de telles paroles, faut-il s’étonner si Richardson répétait à qui voulait l’entendre que Fielding était absolument dépourvu de talent et d’invention ; que sa réputation passerait,