Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/358

Cette page a été validée par deux contributeurs.
344
REVUE DES DEUX MONDES.

sur différens points du globe, ces dispositions ont donné Shakespeare, Corneille, Schiller, Goëthe et Alfieri. La vie de taverne et de braconnier, d’aventure et de joyeuse insouciance, la vie grave et recueillie, une contemplation maladive, une suite non interrompue de tous les genres de bonheur, le goût tardif des études âpres et ardues, après des courses au galop de plusieurs centaines de lieues, suffisent, et au-delà, pour expliquer les différences qui distinguent Othello, Cinna, don Carlos, Goetz de Berlichinghen et Myrrha.

Et ainsi on ne doit pas s’étonner si Fielding n’a pas réussi au théâtre ; sa vocation et son génie le destinaient à d’autres succès. Quoi qu’il en soit, comme il menait à Londres la vie d’un homme d’esprit et de plaisir, il trouvait dans ses ouvrages dramatiques des ressources, précaires il est vrai, mais rapides, pour subvenir à ses besoins sans cesse renaissans. Il fut même, pendant une saison, directeur d’une troupe de comédiens, réunis à la hâte, et auxquels il voulait faire jouer ses pièces dans la petite salle d’Hay-Market. Mais cette entreprise ne réussit pas, et la troupe fut promptement dispersée. Obligé de flatter les animosités politiques, Fielding se permit, dans deux de ses comédies, Pasquin et le Registre historique, des attaques violentes contre Robert Walpole ; et il contribua beaucoup, par la liberté de ses satires, à l’établissement de la censure dramatique. Cette mesure excita en Angleterre de nombreux murmures et d’amères réclamations ; mais elle n’a pas été abolie, et ne promet pas de l’être de si tôt. Il est douteux en effet que les chevaliers d’Aristophane, avec les mœurs politiques que le temps nous a faites, fussent possibles aujourd’hui. On peut raisonnablement contester la convenance et l’opportunité de mettre aux prises, dans l’enceinte d’un théâtre, les haines des partis, lorsqu’il existe tant d’autres voies paisibles et assurées pour la libre manifestation de la pensée. La comédie ancienne d’Athènes avec ses personnalités nominales, avec ses invectives acérées, qui ressemblent bien plus à un soufflet qu’à une plaisanterie, n’est plus acceptable, et contredirait trop formellement la politesse délicate et grave de nos relations sociales. Que la satire, expression inévitable du mé-