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condamnée à être fusillée avec son amant, quoiqu’on ne put donner aucune preuve qu’il fût du complot. Ils restèrent pendant douze heures en capilla, avant d’être exécutés. Le prêtre qui assista Apollinaria la menaça des peines éternelles, si elle refusait de dénoncer ses complices ; mais elle n’en avoua d’autre que le messager qu’elle avait employé. On fit sortir les deux amans de prison ensemble, et on les attacha l’un à l’autre sur deux banquillas, entourées de troupes. Quand le piquet de grenadiers s’approcha, on leur offrit leur pardon, à condition qu’ils dévoileraient leurs complices ; mais ils déclarèrent ne vouloir rien dire, et que Bolivar allait bientôt les leur faire connaître. Le prêtre se retira ; et sentant son cœur défaillir pour la première fois, cette malheureuse jeune fille s’écria : Conque verdugos teneis valor de matar una mujer ! « eh bien ! bouchers, vous avez donc le cœur de tuer une femme. » Mais elle se couvrit aussitôt la figure avec sa saya, et, en l’étendant, on lut ces mots, brodés en or sur sa basquina : Viva la patria ! Le signal fut donné du balcon du vice-roi, et les deux fiancés périrent ensemble. »

Bolivar ne se fit pas attendre long-temps à Bogota, où il entra avec son armée, aux acclamations de tous les habitans.

« Cette ville est située au pied d’une montagne presque inaccessible. Les maisons y sont bien bâties, mais n’ont qu’un étage, avec une cour intérieure (patio) dans le style mauresque, contenant des fontaines et des orangers. Les escaliers sont larges, et ont presque tous sur le carré la peinture du géant saint Christophe portant Notre-Seigneur enfant à travers la mer Rouge (qui, par parenthèse, est peinte en vermillon), et se servant d’un palmier pour canne. Les chambres du premier communiquent toutes ensemble autour du patio, ce qui donne une grande fraîcheur à la maison. À toute heure de la journée, on offre du chocolat et des confitures aux personnes qui viennent faire une visite, puis de l’eau glacée, et on les arrose de parfums au moment où elles se retirent. — Les dames de Bogota sont gaies et gracieuses, et ressemblent aux Andalouses. Le climat, qui n’y est pas aussi chaud que dans les autres parties de l’Amérique du Sud, leur permet de faire de l’exercice,