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veut le modifier et l’embellir. De nos jours, les cartes subissent moins de changemens, et vieillissent moins vite par les découvertes nouvelles des voyageurs que par les travaux rapides de l’industrie. Tandis que la civilisation s’improvise, que les villes s’élèvent avec une promptitude magique, que les plaines cultivées remplacent spontanément les forêts séculaires, que partout l’agriculture succède à la chasse, on voit des rivières artificielles traverser des terrains arides et s’élancer au-dessus des montagnes, la Floride devenir une île, Cuba se diviser et les deux océans se réunir pour rapprocher tous les pays du globe.

Un démenti formel a été donné à un poète illustre de l’antiquité, et l’Océan a cessé d’être insociable depuis que la navigation a établi entre les peuples les plus éloignés des communications actives et régulières qui font disparaître les distances. Maintenant on peut savoir par expérience quels destins bornés eussent été le partage d’un globe compact dans lequel des haines, des rivalités, des trajets difficiles, des transports dispendieux, auraient offert des obstacles aussi puissans à la civilisation qu’au commerce. Quels sont nos rapports avec ces contrées qui nous touchent, avec cet ancien monde, plus nouveau pour nous que celui de Colomb ? L’Afrique, toujours enfant ou retombée dans l’enfance, continue de nous éloigner par son fanatisme et sa barbarie ; l’Asie, vieille et stationnaire, nous repousse avec persévérance par ses préjugés et sa sagesse. Tout ce que nous avons obtenu de ces pays, nous ne le devons même qu’à la mer. Autrefois, c’était par elle que Rome se rapprochait de l’Indostan ; et, de nos jours, l’ancien empire du Mogol est plus voisin des îles britanniques que des frontières de la Russie. Que le Bengale, que la Chine cessent d’être accessibles à nos vaisseaux, que les profondeurs de la mer des Indes se dessèchent, et aussitôt les rivages qu’elle baigne nous deviendront étrangers. Si l’Atlantique n’eût jamais existé, il est certain qu’aujourd’hui l’Amérique ne rivaliserait point avec nous, et n’essaierait pas de nous rendre ce que nous lui avons donné : nous n’en connaîtrions probablement l’intérieur que par les récits d’un autre Marco-Polo ; nous ne jouirions pas de ses produits, et l’espèce