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DE L’ALLEMAGNE.

Dans le mouvement d’idées qui vient de réveiller le nord, elle est restée encore une fois impassible. Les luttes philosophiques ont de nouveau dévoré le sol tout autour d’elle ; elle ne s’en est pas plus émue qu’elle ne le fit autrefois à la nouvelle des thèses du docteur de Wittemberg. À travers ces innovations, tranquillement et machinalement elle a continué de creuser son terrier du côté de l’Italie et de la Slavonie, comme la louve du Danube, sans s’arrêter ni se lasser jamais. Et dans tous les cas, ce qui la rend commode à ses voisins, c’est que sa foi parfaite dans les conversions de la force quand on l’a obtenue, la préserve de toute ardeur de prosélytisme moral, et l’empêche de faire aucun effort intempestif pour regagner les intelligences. Au contraire, le despotisme prussien ne perd pas des yeux les destinées intérieures des nations germaniques ; c’est sur elles qu’il veut peser sciemment ; il faut qu’il les envahisse de haute lutte par l’intelligence et puis plus tard par la force, s’il le peut. Autant on aime le silence à Vienne, autant lui a besoin de fracas ; il veut faire du bruit et il en fait, car il est vain, vif, prêt à tout ; de plus, il a des idées à lui, il a des systèmes à lui, une philosophie, une science et des sectes à lui ; il réunit, on ne peut le nier, ce qu’il y a au monde de plus pratique et de plus idéal, de mieux ordonné et de plus dévergondé, et prouve à merveille que le soin des intérêts les plus matériels peut trouver des accommodemens avec cet éclat de théorie et cette préoccupation de l’infini, dont ce pays, pour son honneur, ne se défera jamais. Avec cela un avantage incontestable et qui rachète mille défauts, c’est que c’est lui qui a le privilége de tenir dans sa main l’humiliation de la France, et de lui rendre le long affront du traité de Westphalie ! Car il est loin de croire, pour sa part, que des frontières reconquises ne soient que des champs ajoutés à des champs ; il sait très bien qu’une cause entière et l’honneur d’un pays germent ou se flétrissent, selon son gré, avec l’herbe de ce sol ; que l’initiative, dans la société européenne, n’appartient pas à une terre, tant que l’on peut encore y compter un à un les pas de l’étranger, et que c’est lui qui a brisé l’aile de la fortune de la France.