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de manière à ce que la pointe dépassât d’un pouce seulement le petit doigt, et s’approcha du connétable.

Celui-ci, voyant que tout était fini pour lui dans ce monde, ferma les yeux, renversa la tête en arrière, et se mit à prier.

— Connétable, dit l’Île-Adam, en lui arrachant la chemise qui couvrait sa poitrine.

— Connétable, te souviens-tu d’avoir juré un jour par la Vierge et le Christ, de ne point porter vivant la croix rouge de Bourgogne.

— Oui, répondit le connétable, et j’ai tenu mon serment, car je vais mourir.

— Comte d’Armagnac, reprit l’Île-Adam en se baissant vers lui, et en lui labourant la poitrine de la pointe de son épée, de manière à y tracer une croix sanglante, tu en as menti par la gorge : car tu portes vivant la croix rouge de Bourgogne. Tu as faussé à ton serment, et moi j’ai tenu le mien.

Le connétable ne répondit que par un soupir. L’Île-Adam remit son épée dans le fourreau.

— Voilà tout ce que je voulais de toi, dit-il ; maintenant, meurs comme un parjure et comme un chien. À ton tour, Perrinet Leclerc.

Le connétable rouvrit les yeux, et répéta d’une voix mourante :

— Perrinet Leclerc !

— Oui, dit celui-ci en se jetant de nouveau sur le malheureux comte d’Armagnac près d’expirer, oui, Perrinet Leclerc, celui que tu as fait déchirer de coups par tes soldats. Il paraît que vous avez fait chacun un serment, ici ? Eh ! bien, moi, j’en ai fait deux : le premier, connétable, c’est que tu apprendrais à ton lit de mort que c’était la reine Isabeau de Bavière qui te prenait Paris en échange de la vie du chevalier de Bourdon : le voilà accompli, car tu le sais. Le second, comte d’Armagnac, c’est que tu mourrais en l’apprenant ; et celui-là, ajouta-t-il en lui enfonçant sa dague dans le cœur, celui-là je l’ai rempli aussi religieusement que le premier. Dieu soit en aide, dans ce monde et dans l’autre, à qui tient honnêtement sa parole. »


alex. dumas