Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
REVUE DES DEUX MONDES.

point encore réussi à lui faire. Avec des organes moins flexibles, la France aurait déjà succombé à cette contradiction qui gronde dans l’état, et menace à la fin de l’entr’ouvrir violemment.

C’est qu’il n’est au pouvoir de personne de soustraire un évènement social à la solidarité de la civilisation. On peut s’emparer d’un peuple au profit d’une personne, mais non le cloîtrer impunément dans une œuvre et une liberté solitaires. — Bien moins encore qu’une idée, un fait de civilisation qui sert à l’accomplissement d’une ère inachevée, ne peut pas rentrer en lui-même, se refouler dans l’enceinte d’un intérêt local ou s’il le fait, c’est pour dévorer les entrailles du pays qui se condamnerait à le recéler à son profit sous sa robe virile. Y a-t-il quelque part une merveille plus grande que ce phénomène ? On connaît un pays qui est au lendemain d’une victoire décidée ; il a obtenu ce qu’il désirait le plus ; il a quitté son fardeau. On ne peut même nier que les conditions principales de son pacte nouveau ne s’accomplissent, lentement, il est vrai, et à regret, mais irrévocablement ; et voilà aussitôt dans une même proportion la fortune publique qui tarit à vue d’œil, tous les projets qui avortent, toutes les opinions qui se brisent, toutes les illusions qui tombent, et une inexplicable tristesse qui a saisi l’état et corrompu jusqu’à la moelle toutes les espérances de l’esprit national. On a cherché la cause de ce phénomène dans quelques accidens particuliers, des ambitions trompées, des partis impatiens, ou tout au plus, dans l’inachèvement de la loi organique. Mais un mal qui persiste si long-temps ne peut s’expliquer que par une déviation nécessaire du plan même de la civilisation. N’est-ce pas en effet une chose qui suffit au deuil d’un pays que ce désenchantement de lui-même, que ce réveil dans l’isolement, que ce sceptre de l’opinion publique que les siens lui arrachent ? Quand le génie même de la civilisation s’éloignerait de la France, je demande ce qui se passerait autrement, et ce qu’il y aurait d’étrange à ce que le pays en fût ému. On ne renonce pas sans effort à un héritage d’honneur de mille années. On n’abdique pas sans souci une initiative sociale que Louis xiv avait fondée, que la régence même avait su conserver, que la révolution et l’empire avaient