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Ainsi, ni l’industrie, ni la science, ni la liberté, ni l’art, ni la religion ne donnent à la France sa prééminence à elle. Au contraire, elle resterait plutôt inférieure par ces côtés aux nations qui l’entourent. Quelle est donc la part qui lui reste ? Quel est le principe qui lui appartient en propre, et n’appartient à personne autant qu’à elle. Ce mobile est l’instinct de la civilisation, le besoin d’initiative d’une manière générale dans les progrès de la société moderne. Il est pour elle ce qu’est pour l’Italie le sentiment de l’art, pour l’Allemagne la préoccupation de la science et de la religion. Désintéressé et impérieux néanmoins, comme toutes ces choses qui se font aussi sans profit immédiat, c’est lui qui fait l’unité de la France, qui donne un sens à son histoire, et une âme au pays. Otez-le-lui pour un jour, ou seulement faites qu’il disparaisse de la vie publique, vous n’atteignez pas pour cela les peuples étrangers dans leur élément vital. Vous faites descendre la France au-dessous de tous ceux qui l’entourent, au point de la rendre méconnaissable à elle-même ; car cette force de civilisation, ce besoin d’influence extérieure, c’est la meilleure partie d’elle-même ; c’est son art, c’est son génie, c’est son bonheur à elle, c’est sa science, c’est sa morale, quand tant de régimes successifs ont affaibli la morale particulière ; c’est sa foi, et il ne lui en reste pas d’autre, pourquoi la lui enlever ? c’est sa religion qui n’est plus dans les églises, pourquoi la lui arracher ? c’est sa vie sociale avec tout son avenir, pourquoi la lui briser ?

Quoique ce principe soit suffisamment reconnu, le gouvernement s’est jusqu’ici établi sur l’idée que la révolution de 1830 y a fait exception. La révolution a été pour lui un fait personnel à la France, et qui devait chercher en lui-même et dans ses propres bornes, son entière satisfaction. Un mouvement de civilisation est devenu entre ses mains un accident fortuit, un moment de colère dans un peuple, une querelle intérieure bonne à cacher à ses voisins, et dont tout l’art devait être de nier sa connivence avec le reste de l’Europe. En vain le retentissement que produisait notre révolution à l’étranger, montrait aux plus inattentifs qu’il s’agissait d’un fait européen longuement