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difficultés que lui opposait une mer très houleuse. Pendant que M. Devaux obtenait à Rio qu’un navire portugais irait prendre à la Trinité les dix-neuf personnes qui y étaient restées, ces malheureux étaient sauvés par un brick américain qui passait par hasard auprès de l’île.

Le bâtiment dont le nom m’est inconnu, mais dont j’ai suivi à-peu-près l’histoire, se trouvait, je ne sais pourquoi, hors de sa route, quand une caisse renfermant de l’huile de vitriol se brisa et mit le feu dans le faux-pont. J’ignore quelle fut, dans cette circonstance difficile, la conduite du capitaine et de son second ; je n’ai voulu calomnier ni l’un ni l’autre en prêtant seulement au troisième officier du navire l’énergie nécessaire pour sauver l’équipage. Je n’ai pas cherché à raconter ce qui fut, mais à peindre ce qui a pu être ; il entrait dans mon plan de faire une chose générale : je dois avertir cependant le lecteur que j’ai entendu dire qu’un des officiers du brick était un homme fort dévot, et que, par un hasard étrange, la vierge de cire qui lui appartenait fut préservée de la destruction. Cette particularité m’a été affirmée par M. Fleuriau, capitaine de vaisseau, qui commandait alors en qualité de lieutenant le brick de guerre l’Euryale, en station à la Martinique, et par mon camarade M. Aubry-Bailleul, lieutenant de vaisseau, alors aspirant de première classe, qui commandait l’embarcation envoyée par le capitaine de l’Euryale au secours du brick incendié. Le lieutenant qui joue le principal rôle dans la scène qu’on vient de lire, était, je crois, fils de M. Robin, qui s’acquit dans la dernière guerre une bonne renommée comme capitaine de vaisseau. Il est inutile d’ajouter que le personnage de la passagère n’est point historique, pas plus que ceux des matelots dont les noms se trouvent dans mon récit. La farine transformée en mastic, le suif des gabiers roulé en chandelles, et le bonnet de coton du lieutenant servant à faire des mèches, sont des détails qui m’ont été donnés pour vrais.

— À bord d’un bâtiment de guerre, le premier soin, quand le feu se déclare, est de mettre des factionnaires aux sabords et aux embarcations, pour empêcher la fuite des hommes qui seraient pris par la peur. Il faut que tout le monde coure les mêmes chances, et que chacun participe aux fatigues que l’évènement prépare à l’équipage. Je pourrais citer un grand nombre de cas remarquables d’incendies qui prouvent ce qu’il y a d’élévation et de courage chez les hommes de mer, dans les plus graves occurrences ; je me contenterai d’en mentionner un des plus récens. En 1829, à Smyrne, le feu prit dans la soute au charbon du vaisseau le Conquérant, le 30 octobre, à neuf heures du soir. On vint aussitôt avertir M. l’amiral de Rigny, qui avait son pavillon à bord. Il descendit dans la batterie basse, où on parlait de fermer les sabords pour empêcher quelques matelots de s’en aller à la nage. Le général s’y opposa en disant tout haut : « Qu’on laisse tous les sabords ouverts, monsieur le commandant ; je suis sûr qu’il n’y a pas ici un homme assez lâche pour fuir et laisser ses camarades dans le danger. » On ne songea plus qu’à l’incendie, dont à deux heures du matin on s’était rendu complètement maître. Tout se passa avec tant de calme, qu’aucun des bâtimens français et étrangers qui étaient