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demi sur les épaules, au teint pâle, aux yeux noirs, quelquefois mouillés de larmes de joie et de douleur, encourageait les plus abattus par quelques saillies d’une vive imagination, priait sincèrement avec le second, qui récitait un latin inintelligible ; consolait ceux dont l’incendie dévorait la fortune et qui n’avaient pas trouvé, comme elle, sur le cratère du volcan qu’on refoulait, une passion tendre pour remplir leur cœur, de douces illusions pour tromper les angoisses de leur agonie. Vous l’auriez prise pour une de ces ravissantes fées qui ne manquaient jamais autrefois (c’était le bon temps !) d’intervenir, quand le danger était pressant, pour aider et consoler les hommes. Elle était vive, rieuse, éloquente ; un instant l’avait ainsi transformée : hier, timide, froide, parlant comme une petite bourgeoise ; aujourd’hui…

Personne ne comprenait cette métamorphose ; en la voyant rire dans des circonstances si graves, on se disait : — La pauvre femme, elle a perdu la raison !

— C’est dommage, au moins ; à vingt ans !

— Tant mieux, quand la mort sera ici entre la flamme et l’eau, elle ne s’en apercevra point ;

— Elle a prié, pensait M. Dupuis, et Dieu lui a donné la force !

— Elle aime, se disait avec bonheur le lieutenant, qui seul pouvait expliquer la conduite de madame Oppic ; elle aime, elle est aimée ! L’amour partagé rend si gai ! Il est si fort contre le malheur ! C’est un génie ; je l’ai éprouvé tout-à-l’heure, moi aussi ; c’est lui qui m’a inspiré !

Et ce monologue, dont aucune syllabe ne vint sur ses lèvres, Adolphe le termina par un cri qui lui échappa malgré lui : — Je l’ai sauvée !

Tout le monde répondit à cette exclamation : — Il a sauvé la Julie ! Il nous a sauvés !

Madame Oppic ne se trompa point sur le sens des paroles du lieutenant ; elle se précipita vers lui et l’embrassa avec effusion.

— Ah ! Voilà qu’elle a un moment lucide, dit un passager.

Chacun imita le mouvement de la jeune femme ; Adolphe fut