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INCENDIE À LA MER.

leur mortelle ajoutait à la beauté. Le timonier n’eut pas le temps de remarquer ce que l’incident prêtait de charmes à la passagère mourante ; un jeune homme qui passait rapidement au pied du grand mât en fut frappé : « Qu’elle est belle ainsi ! » fut sa première parole, heureusement perdue dans le tumulte confus des voix qui criaient : « Au feu ! De l’eau ! Nous sommes perdus ! »

— Georges, dit le lieutenant, car c’était lui qui n’avait pu maîtriser l’exclamation admirative, qu’une seule oreille peut-être avait recueillie ; Georges, prends soin de madame ; porte-la derrière, et va chercher à ma chambre un flacon pour la faire revenir.

Il n’avait pas achevé sa phrase, que, d’un seul bond, il s’était élancé au pied du mât de misaine. – Silence ! cria-t-il d’une voix puissante. N’y a-t-il ici que des enfans timides, des vieillards qui tremblent en récitant leurs litanies et des femmes qui syncopent ? Silence !

Tout l’équipage se tut. Une seule voix répondit à celle du lieutenant ; ce n’était pas de l’avant qu’elle venait. — Adolphe !… fut tout ce qu’on entendit, et le lieutenant parut troublé.

— Que nul de vous ne bouge jusqu’à ce que je revienne, et se taise partout !

Ce dernier mot fut prononcé avec un accent particulier que personne ne put définir, ou ne chercha à analyser.

— Maître Pierre, reprit le lieutenant, descendez avec moi.

Cependant les passagers s’agitaient. Le capitaine faisait de vains efforts pour avoir l’air calme ; chacun interrogeait son visage et y lisait la terreur. M. Dupuis était plus rassurant ; la peur dont il était plein avait un caractère de résignation qu’on pouvait prendre pour de la confiance. À chaque question qui lui était adressée sur le péril présent, il répondait : — Nous nous sauverons. Elle n’abandonne jamais ceux qui ont recours à sa miséricorde. Prions la consolatrice des affligés.

— Oui, dit le lieutenant qui partit tout-à-coup à l’escalier de la chambre, l’œil rouge, et la face empourprée comme un