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quer à tous, et non de la troubler dans ses principes naturels[1]. N’importe ! M. de Salvandy ne s’en écriera pas moins : Eh bien ! un savant professeur de droit pose philosophiquement ces maximes et la France les entend sans s’étonner ! Eh ! de quoi, s’il vous plait, s’étonnerait la France, si elle a le loisir de s’occuper des opinions individuelles ? S’étonnerait-elle quand on démontre la légitimité de la révolution, la justice de la déclaration de l’Assemblée constituante, qui mit les biens du clergé à la disposition de la nation, la nécessité qui répondit à la guerre civile et à l’émigration dans les camps ennemis par une expropriation violente que j’ai qualifiée d’accident hideux qui ne saurait devenir une loi que dans ces crises où une société se refait en se déchirant. La France s’étonnera-t-elle à ces paroles de bon sens et de modération : « C’est à ces extrémités où furent poussés nos pères, que nous devons un territoire divisé à l’infini, la propriété accessible à tous, la diminution progressive des prolétaires, la modestie si pure de notre dernière révolution, sa sobriété admirable dans la réaction et dans la vengeance. Je prends empire sur moi-même, pour ne pas qualifier trop sévèrement la légèreté avec laquelle M. de Salvandy incrimine une théorie conservatrice et raisonnable.

Mais je veux vous donner un échantillon de l’instruction de ce publiciste. M. de Salvandy en est encore à regarder les douze Tables comme venant de Solon ou de Lycurgue. « Dans l’histoire, il fait beau voir les Romains, quand ils veulent changer les lois qu’ils ont héritées de leurs aïeux, et qui ont assuré leur liberté comme leur grandeur, appareiller patiemment une flotte pour envoyer en course de découvertes dans la Grèce, d’illustres citoyens chargés de consulter les dieux, de presser les oracles, de recueillir, comme les oracles de la sagesse antique, les institutions de Solon ou de Lycurgue, et les leçons d’un plus grand maître encore, celles du temps[2]. » Je vous cite ces phrases pour vous divertir à Berlin. Que dites-vous, monsieur, de cette flotte appareillée patiemment, de Romains allant en course de décou-

  1. Tome I, page 332, Révolution française.
  2. Pages 41, 42.