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REVUE DES DEUX MONDES.

le feu du ciel, par M. louis boulanger.

Le public n’a pas oublié la Ronde du Sabbat et la Saint-Barthélemy, de M. Louis Boulanger. Tous les reproches adressés à l’auteur de Mazeppa n’ont pu fermer les yeux des artistes et des critiques sur le mérite éminent et réel de ces ardentes créations. Le Feu du Ciel, inspiré, comme la Ronde, par un poème de Victor Hugo, réunit à la verve de cette dernière planche une supériorité incontestable d’exécution. Le sujet est emprunté à la première des Orientales, et le peintre n’est pas demeuré au-dessous du poète.

Plusieurs fois déjà M. Boulanger a puisé à la même source que Victor Hugo, et il a raison selon nous ; car, entre les imaginations poétiques de notre temps, il en est peu, sans doute, qui soient plus directement et plus immédiatement pittoresques. Les Orientales surtout parlent aux yeux bien plus encore qu’à la pensée. C’est, de tous les livres de l’auteur, celui où il a donné le plus d’importance à la partie visible de la poésie : ses précédens recueils, et surtout le dernier, s’adressent plus volontiers au cœur et à l’intelligence.

M. Louis Boulanger, qui sans doute a complété sa première inspiration par une lecture attentive de la Bible, nous paraît avoir compris parfaitement tout ce qu’il y avait de majestueux et de magnifique dans le désastre et l’incendie des deux villes coupables. Sa composition est immense et gigantesque, et ne sort pas des limites imposées à son art, comme les poèmes de Martin et de Danby.

Le poème de M. Boulanger est de la belle et grande peinture, qui rappelle plus volontiers les Enfers de Rubens que le Jugement de Michel-Ange. Mais cette fois-ci, il s’est tellement approprié la manière du maître, que son Feu du ciel est vraiment une production originale.

Il nous a semblé que les premiers plans auraient été d’un effet plus saisissant et plus sûr, si les dieux de granit, au lieu d’être charnus, modelés et vivans, malgré leurs proportions colossales, avaient été sculptés dans les formes raides et immobiles des idoles égyptiennes. L’opposition aurait été plus marquée, et l’action plus précise.

Mais cette critique, que nous croyons juste, et qui ne s’attaque qu’à un détail, ne diminue en rien le mérite et l’effet du Feu du ciel. C’est une belle et glorieuse réaction contre les hauberts, les corselets et les cuissards, dont la peinture se compose exclusivement depuis quelques années. C’est une création poétique, de recueillement et de solitude, destinée dès aujourd’hui à un grand succès, une belle estampe pour nos salons, et en même temps une œuvre de conscience et d’énergie qui portera ses fruits, un pas éclatant dans la carrière de l’auteur.

Le Feu du ciel doit consoler M. Boulanger de n’avoir pas paru au salon de cette année, et en même temps l’encourager et le soutenir jusqu’au salon de 1832.