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REVUE — CHRONIQUE.

hideux de la restauration ; il regrette la prostitution des églises ; il regrette les outrages au-devant desquels allaient en foule des femmes sans pudeur et sans foi ; il regrette les débauches qu’on célébrait comme une fête, à un jour désigné par la religion aux prières et à la méditation.

Après les démentis échangés entre le Courier anglais et les journaux ministériels de Paris, il n’est plus permis de douter que la Russie refuse d’adhérer aux articles proposés par la conférence de Londres. Les sophismes les plus ingénieux ne réussiront pas à désabuser l’opinion publique sur les vraies intentions de Nicolas. L’obstination du roi de Hollande serait inconcevable sans les questions officieuses adressées au cabinet de La Haye par celui de Saint-Pétersbourg. « Combien de temps, mon cher ami, pouvez-vous rester encore sur le pied de guerre ? — Un an. — À la bonne heure ; nous pouvons donc attendre et voir venir » En vérité, la diplomatie est descendue bien bas : depuis quinze mois que la conférence s’assemble, qu’a-t-elle résolu, et à quoi sert-elle ? Dans quelques mois, si cela continue, on ne pourra plus prononcer sans rire le mot de protocole. Les diplomates seront le type du ridicule comme les Dandin sous Molière.

Nicolas se moque de l’Europe, intervient partout, et rejette avec un mépris insultant les conseils et les remontrances. Le jour anniversaire de la révolution polonaise, le 29 novembre, il a fait exécuter à Varsovie les principaux acteurs de l’insurrection. C’était bien la peine, vraiment, de nommer un ambassadeur ordinaire et un ambassadeur extraordinaire en Russie, pour en venir à ce point d’humiliation, de retenir à Paris le maréchal Mortier, parce qu’il ne convient pas à la cour de l’autocrate, et d’envoyer le duc de Mortemart, honoré de l’amitié du dernier roi. On dit que le duc de Mortemart renonce à son ambassade, et il a raison. De quels yeux oserait-il regarder ceux qui insultent si délibérément la nation qu’il représente ? Quelles paroles oserait-il adresser à celui qui raille si cruellement les conseils de la France. Chaque tête qui tombe à Varsovie est un soufflet sur la joue du ministère. Ne savez-vous pas que deux ingénieurs envoyés en Russie pour fonder une école sur le modèle des nôtres, et récemment décorés de la Légion d’Honneur, reviennent à Paris parce qu’ils n’ont put obtenir de porter leur décoration ? Voilà donc où en est venue la honte de la France ? Et ne deviez-vous pas le prévoir en lisant la lettre insolente de Nicolas à Louis-Philippe ? C’est vous qui l’avez voulu. Le jour où cette lettre est venue, vous deviez demander des explications à M. Pozzo di Borgo, ou lui donner ses passeports.

Et pourtant le ministère répète tous les matins dans ses journaux qu’il est assuré du désarmement européen ! Mensonge ou folie, qu’importe ? Mais si c’est folie, que signifient les charges de cavalerie exécutées sur le boulevard contre les étudians qui vont rendre visite à Langermann et Ramorino ? Serait-ce par hasard pour désarmer la colère de Nicolas contre la France ? Ou bien veut-on punir deux braves généraux d’avoir pris au sérieux cette mémorable séance de grammaire où la législature d’assemblée a préféré l’assurance à la certitude ?

Pour complaire à cette fable du désarmement, n’a-t-on pas promis à lord Grey