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LA HORCA.

religieuse et sainte ! Ces honneurs rendus à la dépouille mortelle du malheureux, sur le lieu même qui l’avait vu quelques heures auparavant si cruellement outragé ! l’expiation du supplice confiée à des femmes et à des enfans ! cette réparation, cette amende honorable, faites par les âmes pures ! ce pardon demandé par l’innocence ! — oh ! tout cela était beau et touchant !

Je me sentais doucement ému et attendri, et, ne songeant plus à l’exécution du matin, il me semblait que j’avais suivi seulement le convoi d’un ami ; que j’étais là, lui rendant les derniers devoirs. Je voyais le jeune homme, étendu dans sa bière ouverte, comme s’il fût mort d’une mort ordinaire. La robe de moine dont il était revêtu cachait l’empreinte des nœuds cruels qui avaient déchiré ses membres ; on eût dit que sous le capuchon qui la voilait à moitié, sa figure avait repris quelque chose de sa grâce et de sa beauté. La lueur flottante des deux lanternes de la bière faisait jouer sur sa tête comme une auréole ! — Et alors, moi, dont le doute a flétri déjà et desséché tout le cœur, moi, homme impie et sans foi, — j’avais une mystique vision ! Je voyais, sous les traits radieux du jeune homme, une âme bienheureuse ouvrant ses ailes pour voler au ciel à l’appel de Dieu.

Toutes les voix se turent ; tous les chants cessèrent. Le service était achevé et les prêtres rentraient à la sacristie. Les frères de paz y caridad se disposaient à enlever le corps. — Une femme vêtue de noir, qui, depuis que nous étions rentrés dans l’église était demeurée prosternée au pied de la bière, se leva soudain. Bien que sa mantille se fût, dans ce mouvement, détachée de sa tête, ou put voir à peine son visage pâle que cachèrent en même temps de longues tresses noires qui se déroulèrent, tombant éparses autour d’elle, comme un second voile. Elle tenait un cierge de la main droite ; de l’autre, elle saisit convulsivement la bière ; puis secouant ses cheveux qui lui couvraient le front, et les rejetant derrière son épaule, elle se pencha sur le visage du mort et l’embrassa passionnément. Elle avait rassemblé sans doute et concentré dans ce baiser tout ce qui lui restait de force, d’âme, d’amour et de vie ; car au même moment, ne se pouvant plus soutenir, elle tomba à la renverse.