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REVUE DES DEUX MONDES.

vamos à ver la horca, dit la charmante créature à sa mère, la regardant d’un air calin, s’efforçant de l’entraîner en la tirant par sa robe.

« — Oh non, pas aujourd’hui, ma fille ! Il est trop tard. Es tiempo de la comida. Allons dîner. Vamos à comer !


VIII.
LA PLACE DE LA CEBADA.

Je le confesse encore, et je ne me veux point chercher d’excuse. Une inhumaine et perverse curiosité me poussait ; mais elle me poussait invinciblement. Je voulais voir à tout prix. — D’ailleurs mes yeux seuls voyaient, et non mon âme ; nulle impression ne venait jusqu’à elle. Je ne sentais plus.

Tous ceux qui n’étaient curieux ou cruels qu’à demi, — ceux qui se contentent de voir passer un mourant et n’osent l’aller voir mourir, ou n’en ont pas le temps, comme la marchande de penderos ; tous ceux-là se retiraient, allaient à leurs affaires ou rentraient au logis. À moi, il me fallait plus ! Je suivis de loin le cortège, par la rue de Tolède, jusqu’à la place de la Cebada.

C’est sur la place de la Cebada qu’ont lieu à Madrid les exécutions. La place forme un vaste et grand carré au milieu duquel se trouve une assez belle fontaine. Le marché à l’orge se tient habituellement sur cette place, comme l’indique d’ailleurs son nom. Sur les quatre faces de la fontaine sont aussi rangées des barraques de bois, où se vendent des oranges, des fleurs, des fruits et des herbages de toute sorte. Les jours d’exécution, pour placer la horca, on fait enlever quelques-unes des barraques qui se trouvent sur le milieu du front de la place, vis-à-vis de la fontaine, dans la ligne des deux églises ; car la scène alors se passe entre deux églises. Deux églises la regardent ! L’une, San Millan, est à la gauche de la place en venant par la rue de