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et pour qu’il s’y pût maintenir, le bourreau lui lia les pieds sous le ventre de l’animal.

Je suffoquais, j’avais besoin d’air ; perçant la foule qui environnait la porte, avant que le cortége se fût mis en marche, je sortis, je m’échappai par la petite rue del Verdugo, comme un prisonnier qui se sauve, et courus sans m’arrêter jusqu’à celle de los Estudios.


VII.
LE CORTÉGE.

La rue de los Estudios qui mène en droite ligne à la place de la Cebada, la place de l’exécution, bien que fort large, était tellement obstruée par la foule, qu’à peine y pouvait-on marcher. Je m’arrêtai vis-à-vis de l’église de San-Isidro, m’appuyant au mur d’une maison, à côté de la boutique d’une marchande de panderos[1]. Là, certes, je ne me mis nullement à réfléchir. Je ne me demandai pas pourquoi je m’étais enfui de la prison, pourquoi je n’avais pas tout simplement suivi le cortége, puisque je venais le voir passer. Non, je ne me le demandai pas. Il semble que toute pensée était alors éteinte en moi, toute sensation pétrifiée. Je regardais tout, j’écoutais tout brutalement, sans me rendre compte de rien.

Le temps était magnifique, mais le soleil dans toute sa force dardait d’aplomb ses rayons de feu. Cherchant à s’en garantir, le peuple affluait surtout de chaque côté de la rue, le long des maisons, se disputant le peu d’ombre que jetaient les auvents et le rebord des toits. Un mouvement extraordinaire régnait d’ailleurs dans tout le quartier. Ce n’étaient que cris discordans de marchands d’oranges ; d’aguadores, avec leur eau glacée ;

  1. Tambours de basque.