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LA HORCA.

tortures ; les plus poignantes, les plus atroces allaient venir. Il était neuf heures. J’entrai avec le frère Pedro dans la seconde chambre de la capilla. Le jeune homme était assis près de son confesseur, la tête pliée sur la poitrine. Ses yeux, qui se levèrent sur moi, bien qu’éteints et languissans, surent pourtant me dire qu’il me reconnaissait encore. Ce fut le dernier regard qu’ils me jetèrent ; — ce fut l’adieu !

Deux des frères venaient d’entrer dans la capilla, apportant la livrée des condamnés, la parure du supplice. C’était le moment de la toilette du patient ; elle ne fut pas longue à faire. Le frère Pedro souleva le jeune homme dans ses bras, tandis qu’un autre frère lui passa le saco, une sorte de sac, une blouse, un sarrau de toile blanche ; puis on le coiffa d’une calotte d’un vert-pâle, le gorro. Ainsi affublé, on le laissa retomber, affaissé, sur sa chaise. —

Un jeune homme, que je n’avais pas encore vu dans la capilla, y fut alors introduit. Il pouvait avoir de vingt-deux à vingt-quatre ans. Un peu d’embonpoint épaississait et semblait raccourcir sa taille, d’ailleurs ordinaire. Les traits de sa figure ronde et pleine étaient réguliers et beaux ; mais son extrême pâleur, ses grands yeux noirs au regard humide, donnaient à son visage une singulière expression de souffrance et de mélancolie. — Il portait un large pantalon, une veste ronde d’un bleu foncé, et sur la tête le chapeau de majo. — Ce jeune homme, c’était le bourreau, — el verdugo.

C’est un excellent poste que celui de bourreau à Madrid. La place est très lucrative. On calcule que le revenu s’en élève à 120 réaux par jour. Ce revenu se compose d’abord du traitement fixe de l’exécuteur, puis des produits du droit, à lui seul concédé par privilège, de recevoir et remiser dans la cour de sa maison, attenante à la Carcel de Corte, les ânes, mules, chevaux et voitures de tous les individus qui amènent des denrées à Madrid pour les y vendre au marché. On lui alloue en outre, à titre d’indemnité, une once d’or pour chaque condamné extrait de la Carcel de Corte, et pendu ou garrotté par lui. Le père du bourreau actuel était mort récemment, et son fils, bien que