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mains, pour ne point entendre l’effroyable chant du salve ; puis, ne se pouvant plus soutenir, il se laissa aller sans mouvement lui-même aux bras de son confesseur. Je ne sais si la messe s’acheva. Nul de nous n’y prit garde. Le mariage avait du moins été célébré. Le curé se retira bientôt après avoir embrassé le jeune homme, se hâtant de fuir le spectacle de la douleur qui saisirait le malheureux lorsqu’il reprendrait connaissance.

Moi, j’étais d’abord resté machinalement à genoux. Je me relevai bientôt ; je sortis de la capilla, puis de la prison, navré jusqu’au fond de l’âme, un nuage sur les yeux, marchant au hasard, ne sachant où j’allais. Revenant à moi, je me trouvai à la puerta del Sol. De la nuit d’enfer de la capilla, j’étais transporté tout-à-coup dans une foule joyeuse, au grand jour, au grand soleil ! Il y avait des groupes nombreux, tout autour de moi. On y causait, on y fumait avec insouciance, — on riait. Des soldats, à la porte du corps-de-garde de la casa de postas[1], chantaient et jouaient de la guitare. Je fus effrayé de toute cette joie et de tout ce soleil. – Je m’enfuis, je courus chercher l’ombre et la solitude au fond de mon appartement, où je m’enfermai le reste du jour.


VI.
LE BOURREAU.

Je passai une cruelle nuit. Je me levai le jeudi matin, la tête pleine encore des affreuses visions de mon sommeil. Les pauvres enfans ! je les avais vus dans mes rêves ; je les avais vus brisés de mille douleurs ; je les avais vus se tordre dans toutes les souffrances de l’âme et du corps, et mourir désespérés ; mais je n’avais rien rêvé de plus horrible que l’exécrable et vivante réalité qui pesait

  1. Hôtel des postes.