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lement, à voix basse, d’affaires et de nouvelles, comme s’ils se fussent trouvés à quelque tertulia[1] ou à la Puerta del Sol[2]. — Hélas ! de tous ces hommes, le frère Pedro lui seul sentait et comprenait sa mission de dévoûment et de pitié. — Ses confrères faisaient de la paix et de la charité par habitude, parce qu’ils étaient de service, — parce que c’était leur tour.

Il était deux heures : je me souvins que j’avais donné rendez-vous à Mariquita à la porte de Santa-Cruz ; mais je n’avais que de bien tristes nouvelles à porter à la pauvre fille. J’étais peu pressé de l’aller trouver ; je sortis cependant de la prison.

En traversant la place de Santa-Cruz, j’aperçus un groupe assez nombreux de personnes réunies à la porte de l’église. Je m’en approchai ; — Mariquita n’y était pas. Mettant quelques cuartos[3] dans la main d’une vieille mendiante accroupie à côté, je lui demandai la cause de ce rassemblement.

La pauvre femme me raconta qu’une jeune fille, qui priait depuis le matin dans l’église, en était sortie à midi, au moment où l’on plaçait en face de Santa-Cruz la tablilla[4] de la confrérie, qui annonçait qu’un condamné entrait en capilla. Alors la jeune fille avait poussé un grand cri, et était tombée évanouie ; et pour la secourir, on l’avait emportée dans une maison voisine, que me montra la vieille. C’était de cet accident que s’entretenaient sans doute les personnes rassemblées à la porte de l’église. — Je n’en pouvais douter : cette jeune fille, c’était Mariquita. Il ne me restait plus rien à lui apprendre : je n’avais nulle consolation à porter à la pauvre enfant. Je m’éloignai sans l’aller voir, pour la mieux servir d’ailleurs, en courant faire solliciter vivement encore à tout hasard la grâce du condamné.

  1. Réunion, soirée.
  2. C’est une place de Madrid fort célèbre.
  3. Petite monnaie de cuivre.
  4. À midi, au moment même où le condamné entre en capilla, on place la tablilla en face de la porte de Santa-Cruz. La tablilla est une petite table couverte d’un tapis vert, auprès de laquelle sont placés deux ou trois frères membres de la confrérie de paz y caridad, recevant dans un bassin d’argent les aumônes destinées par les fidèles à faire dire des messes pour l’âme du condamné.