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LE RENDEZ-VOUS.

silence de la nuit, au moment où, quittant le divan sur lequel elle avait gémi près d’un feu presque éteint, elle allait contempler sa fille d’un œil sec, et à la lueur d’une lampe, son mari rentra.

Le marquis était gai ; il baisa sa fille au front quand Julie lui eut fait admirer le sommeil de cette charmante enfant ; mais il accueillit l’enthousiasme de sa femme par une phrase banale.

— À cet âge, dit-il, tous les enfans sont gentils !…

Puis il baissa les rideaux du berceau, regarda Julie, et, lui prenant la main, il l’amena près de lui sur ce divan, où tant de fatales pensées venaient de surgir.

— Vous êtes bien belle ce soir, madame d’Aiglemont !… s’écria-t-il avec cette gaîté fausse et insupportable dont la marquise connaissait tout le vide.

— Où avez-vous passé la soirée ? lui demanda-t-elle en feignant une profonde indifférence.

— Chez madame de Roulay…

Il avait pris sur la cheminée un écran, et il en examinait le transparent avec attention. Il ne voyait même pas les traces des larmes versées par sa femme. Julie frissonna. Le langage ne suffirait pas à exprimer le torrent de pensées qui s’échappa de son cœur.

— Madame de Roulay donne un concert lundi prochain. Elle se meurt d’envie de t’avoir. Il suffit que depuis long-temps tu n’aies paru dans le monde pour qu’elle désire te voir chez elle. C’est une bonne femme ! Elle t’aime beaucoup. Tu me ferais plaisir d’y venir. J’ai presque répondu de toi…

— J’irai… répondit Julie.

Le son de la voix, l’accent et le regard de la marquise eurent quelque chose de si pénétrant, de si particulier, que, malgré son insouciance, Victor regarda sa femme avec étonnement.

Ce fut tout.

Julie avait deviné que madame de Roulay possédait le cœur de son mari.