Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
LE RENDEZ-VOUS.

la cour, où, grâce à ses dehors, il sut plaire, et où l’on crut de lui tout ce qu’il en croyait lui-même.

Mais, devenant modeste au logis, il y sentait instinctivement la supériorité de sa femme, toute jeune qu’elle fût ; et, de ce respect involontaire qu’il lui portait, naquit un pouvoir occulte dont la marquise se trouva forcément investie, malgré tous ses efforts pour en repousser le fardeau. Conseil de son mari, elle en dirigeait les actions et la fortune. Cette influence contre nature était pour elle une espèce d’humiliation et la source de bien des peines qu’elle ensevelissait dans son cœur.

D’abord, elle avait assez le sentiment de la femme pour comprendre qu’il est bien plus beau d’obéir à un homme de talent que de conduire un sot, et qu’une femme obligée de penser et d’agir en homme n’est plus ni femme ni homme, abdique toutes les grâces de son sexe en en perdant les malheurs, et n’acquiert aucun des priviléges dont nos mœurs et nos lois ont doté les plus forts.

Puis, il y avait une bien amère dérision au fond de son existence. N’était-elle pas obligée d’honorer une idole creuse, de protéger elle-même un homme qui, pour salaire d’un dévouement de toutes les heures, lui jetait l’amour égoïste d’un mari ; ne voyait en elle que la femme ; ne daignait pas, ou ne savait pas, injure tout aussi profonde, s’inquiéter de ses plaisirs, ni d’où venaient et sa tristesse et son dépérissement ? Comme la plupart des maris, il plaignait sa femme, tout en l’accusant de faiblesse. Il demandait compte au sort ou au hasard de lui avoir donné pour épouse une jeune fille maladive ; et, s’il y avait une victime, c’était lui. La marquise, chargée de tous les malheurs, de toutes les difficultés de cette triste existence, devait sourire encore à son maître imbécille, parer de fleurs une maison de deuil, et afficher le bonheur sur un visage pâli par de secrets supplices.

Cette responsabilité d’honneur, cette abnégation magnifique donnèrent insensiblement à la jeune marquise une dignité d’épouse, une conscience de vertu qui lui servirent de