mésaventure ? Voilà un de ces événemens qui décident d’une destinée littéraire. Il se sent poète : bien ; il tombe amoureux de sa petite voisine : suivant le train ordinaire des choses, cette passion devait se terminer par un mariage. On se connaissait, les fortunes étaient en rapport ; mais que serait-il arrivé ? La lune de miel passée, car elles passent toutes, quand il aurait vu ce bouton de rose s’épanouir et se faner, quand elle se serait occupée devant lui des soins vulgaires du ménage, sa divinité se serait prosaïsée à ses yeux. Heureusement le gros conseiller de légation Hurbrand l’épouse et l’emmène en Suède ; tant mieux, morbleu ! mille fois tant mieux : la voilà éternellement, pour le petit gaillard, dans une région idéale. Quelle source féconde d’élégies ! C’est pourtant à des circonstances analogues que Dante et Pétrarque durent le développement de leur génie : figurez-vous Dante marié avec Béatrix ; adieu la divine Comédie : jamais Béatrix ne lui eût ouvert les portes du paradis. Au lieu de cela, elle meurt à son aurore, et l’imagination de l’amant poète se la représente toujours jeune, toujours fraîche, toujours riche des grâces du présent et des promesses de l’avenir. Et encore le petit drôle est-il plus heureux que ces deux grands génies : il jouit des mêmes avantages à moins de frais. Sa Laure à lui, sa Béatrix n’est pas morte : il a toujours l’espérance de la revoir. Que son étoile sans doute l’en préserve ! Mais c’est une idée qu’il peut nourrir sans inconvénient ; elle donnera même à sa muse une teinte moins sombre, une physionomie particulière : ne sera pas obligé de demander au ciel ses espérances, et sa poésie sera plus en harmonie avec notre siècle qui n’est plus religieux comme celui de Pétrarque et de Dante !
— « Qui sait jusqu’où j’aurais été, moi, si je n’avais pas épousé madame Staarmatz ? »