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LITTÉRATURE.

ne se sentit plus la force de résister au violent désir qui le tourmentait, et choisissant une matinée qu’il avait entendu Dorothée sortir et fermer la porte du carré, après avoir regardé soigneusement par le trou de la serrure, il entra sur la pointe du pied dans la chambre de sa sœur.

La fenêtre en était ouverte ; des vêtemens par terre, des cartons sur des chaises, le lit encore défait, le désordre de sa chambre, tout annonçait que Dorothée venait de faire une toilette plus recherchée que d’ordinaire, et qu’elle était sortie pour une affaire pressée. Théodore fit peu d’attention à tout cela : une autre idée le préoccupait, et son cœur battait trop fort ; il se dirigea précipitamment vers l’endroit où jusqu’ici son apparition s’était offerte à lui.

— « Ô prodige ! ô bonheur ! Le voilà ! le voilà, le beau palais rouge, le magique palais, avec ses couleurs, ses parfums, ses harmonies ! la voilà, la splendide demeure de la princesse adorée ! Le péristyle de l’immense cour d’honneur est ouvert comme au jour à jamais fortuné où l’ange de la beauté se dévoila aux regards de l’amour ! où est-elle, où est-elle, la reine de ces lieux et de mon cœur ? »

Soit hasard, soit que la princesse fût sensible aux lieux communs que soupirait Théodore avec tant de ferveur, au même instant elle parut — Grand Dieu ! qu’elle était belle ! mais pourquoi cette pâleur ? pourquoi ces larmes qui roulent dans ses beaux yeux ? pourquoi ces vêtemens blancs ? ce long voile brodé ? pourquoi cette couronne de myrte ? Ô mes pressentimens ! on t’entraînait à l’autel ! toi, ma fiancée ! et quel homme assez las de la vie ! — quoi ! toujours toi, gros scélérat de conseiller !

C’était lui-même en effet, radieux et épanoui : on l’eût dit évoqué par cet appel.

Théodore, anéanti par l’excès même de sa rage, sentit ses dents claquer, ses genoux s’entrechoquer et faiblir ; il allait encore perdre connaissance, lorsque la douce voix de sa bien-aimée, qui implorait son secours avec des sanglots, vint le ranimer.