Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
L’AUTRE CHAMBRE.

stamment attachés sur le vélin, et il part dès que la séance est terminée. Nous ne serions pas plus en sûreté avec une maîtresse, et la confiance qu’il m’inspire est telle que je m’absenterais pendant la leçon sans le moindre scrupule. »

J’avais pourtant bien prié le lecteur de modérer son imagination ; peine perdue ! Voyez comme elle s’emporte ! Et cependant ton interprétation, cher lecteur, est dénuée de fondement. Madame Rauer a raison : Théodore, si sage en sa présence, le serait autant elle absente. Il n’a jamais fait la même remarque que monsieur le conseiller de légation Hurbrand ; il ne sait pas de quelle couleur sont les yeux d’Henriette, si ses cheveux sont blonds ou bruns ; et lorsque Angélique profite de la liberté qu’on laisse à une enfant de treize ans, pour lui faire de ces petites provocations semi-innocentes, qui prennent leur source dans la coquetterie, innée chez les femmes, dans l’inexpérience de son âge, et dans la jalousie qu’inspire toujours la sœur aînée ; lorsque, par exemple, elle lui marche sur le pied par-dessous la table, il se recule machinalement, sans qu’il lui vienne jamais à l’idée de regarder si ce pied qui l’agace appartient à l’aînée ou à la cadette. Encore une fois, cher lecteur, calme-toi : tu as affaire à un homme tout rond qui n’a jamais deviné une charade ni compris un calembourg de sa vie ; ne cherche pas un double sens dans ce que je te conte : je ne suis pas un Sphinx, ne fais pas l’Œdipe.

Et vous, mesdames, de votre côté, n’allez pas prendre une trop mauvaise opinion de mon bon Théodore, le croire insensible à vos attraits. Cette dose de calorique que la nature dispense à tous ses enfans, non point dans une égalité si parfaite que quelques théoriciens le prétendent, ni peut-être avec autant de partialité que le soutiennent certains autres, ne vous figurez pas qu’il l’applique toute à la science de la magie. Non, mesdames, notre héros a des sens que votre gracieux aspect enivre, un cœur qu’une douce voix fait battre : seulement ce cœur est semblable aux yeux qui ne voient qu’à une certaine distance ; ce qui l’entoure n’existe point