Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/550

Cette page a été validée par deux contributeurs.
534
LITTÉRATURE CRITIQUE.

trémité cette idée de néant, il décharne son squelette, il le traîne encore saignant au milieu de la salle du festin, et l’inaugure dans les blasphèmes pour nous mieux effrayer. Cette impiété, outrée à dessein, est, on le conçoit, un rappel violent, et provoque au retour ; elle gît tout entière dans la logique du poète, nullement dans son cœur. Lui, poète, il aime le beau et le saint, la piété et l’harmonie, la noblesse et la blancheur, Sophocle, Dante et Raphaël ; il s’écrierait volontiers avec l’esprit qui le tente, et serait heureux de répéter toujours :

Quel bonheur d’être un ange, et, comme l’hirondelle,
De se rouler par l’air au caprice de l’aile,
De monter, de descendre, et de voiler son front,
Quand parfois, au détour d’un nuage profond,
Comme un maître le soir qui parcourt son domaine,
On voit le pied de Dieu qui traverse la plaine !
Quel bonheur ineffable et quelle volupté
D’être un rayon vivant de la divinité ;
De voir du haut du ciel et de ses voûtes rondes
Reluire sous ses pieds la poussière des mondes,
D’entendre à chaque instant de leurs brillans réveils
Chanter comme un oiseau des milliers de soleils !
Oh ! quel bonheur de vivre avec de belles choses !
Qu’il est doux d’être heureux sans remonter aux causes !
Qu’il est doux d’être bien sans désirer le mieux,
Et de n’avoir jamais à se lasser des cieux !


Sainte-Beuve