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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

respiration forte, égale et lente, soulevant la poitrine comme dans un cauchemar.

Il secoua la tête, et sourit un moment comme pour me faire entendre qu’il était inutile de m’occuper de lui. — Comme je le soutenais toujours très-ferme par les épaules, il poussa du pied une petite fiole qui roula jusqu’au bas de l’escalier, sans doute jusqu’aux dernières marches où Kitty s’était assise, car je l’entendis jeter un cri, et monter en tremblant. — Il la devina. — Il me fit signe de l’éloigner, et s’endormit debout sur mon épaule comme un homme pris de vin.

Je me penchai, sans le quitter, au bord de l’escalier. J’étais saisi d’un effroi qui me faisait dresser les cheveux sur la tête. J’avais l’air d’un assassin.

J’aperçus la jeune femme qui se traînait, pour monter les degrés, en s’accrochant à la rampe comme n’ayant gardé de force que dans les mains pour se hisser jusqu’à nous. — Heureusement elle avait encore deux étages à gravir avant que de le rencontrer.

Je fis un mouvement pour porter dans la chambre mon terrible fardeau. — Chatterton s’éveilla encore à demi. — Il fallait que ce jeune homme eût une force prodigieuse, car il avait bu soixante grains d’opium. — Il s’éveilla encore à demi, et employa, le croiriez-vous ? — employa le dernier souffle de sa voix à me dire ceci :

— Monsieur…you… médecin… achetez-moi mon corps, et payez ma dette.

Je lui serrai les deux mains pour consentir. — Alors il n’eut plus qu’un mouvement. Ce fut le dernier, malgré moi, il s’élança vers l’escalier, s’y jeta sur les deux genoux, tendit les bras vers Kitty, poussa un long cri, et tomba mort le front en avant.

Je lui soulevai la tête. Il n’y a rien à faire, me dis-je. — À l’autre.

J’eus le temps d’arrêter la pauvre Kitty, mais elle avait vu. — Je lui pris le bras et la forçai de s’asseoir sur les mar-