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LITTÉRATURE.


« My dear madam,

» I will only confie to you


— Ô ciel ! s’écria Stello, vous avez un accent français d’une pesanteur insupportable. Traduisez cette lettre, docteur, dans la langue de nos pères, et tâchez que je ne sente pas trop les angoisses, les bégaiemens et les anicroches des traducteurs, qui font que l’on croit marcher avec eux dans la terre labourée à la poursuite d’un lièvre, emportant sur ses guêtres dix livres de boue.

— Je ferai de mon mieux pour que l’émotion ne se perde pas en route, dit le docteur noir, plus noir que jamais, et si vous sentez l’émotion en trop grand péril, vous crierez, ou vous sonnerez, ou vous frapperez du pied pour m’avertir.

Il poursuivit ainsi :


« Ma chère madame,

» À vous seule je me confierai, à vous, madame, à vous, Kitty, à vous, beauté paisible et silencieuse qui seule avez fait descendre sur moi le regard ineffable de la pitié. J’ai résolu d’abandonner pour toujours votre maison, et j’ai un moyen sûr de m’acquitter envers vous. Mais je veux déposer en vous le secret de mes misères, de ma tristesse, de mon silence et de mon absence obstinée. Je suis un hôte trop sombre pour vous ; il est temps que cela finisse. Écoutez bien ceci.

» J’ai dix-huit ans aujourd’hui. Si l’âme ne se développe, comme je le crois, et ne peut étendre ses ailes qu’après que nos yeux ont vu pendant quatorze ans la lumière du soleil ; si, comme je l’ai éprouvé, la mémoire ne commence qu’après quatorze années à ouvrir ses tables et à en suivre les registres toujours incomplets, je puis dire que mon âme n’a que quatre ans encore depuis qu’elle se connaît, depuis qu’elle agit au dehors, depuis qu’elle a pris son vol. Dès