Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/499

Cette page a été validée par deux contributeurs.
483
CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

compte l’inflexibilité de mes raisonnemens et la dure analyse de mes observations, je vous assure que je suis très-bon ; seulement je ne le dis pas. En 1770 je le laissais voir : cela m’a fait tort, et je m’en suis corrigé.

Je m’approchai donc du comptoir et je lui pris la main en ami. Elle serra la mienne d’une façon très-cordiale, et je sentis un papier doux et froissé qui roulait entre nos deux mains : c’était une lettre qu’elle me montra tout à coup en étendant le bras d’un air désespéré, comme si elle m’eût montré un de ses enfans mort à ses pieds.

— Elle me demanda en anglais si je saurais la lire.

— J’entends l’anglais avec les yeux, lui dis-je en prenant sa lettre du bout du doigt, n’osant pas la tirer à moi et y porter la vue sans sa permission.

Elle comprit mon hésitation et m’en remercia par un sourire plein d’une inexprimable bonté et d’une tristesse mortelle, qui voulait dire : Lisez, mon ami, je vous le permets, et cela m’importe peu.

Les médecins jouent à présent, dans la société, le rôle des prêtres dans le moyen âge. Ils reçoivent les confidences des ménages troublés, des parentés bouleversées par les fautes et les passions de famille : l’abbé a cédé la ruelle au docteur, comme si cette société, en devenant matérialiste, avait jugé que la cure de l’âme devait dépendre désormais de celle du corps.

Comme j’avais guéri les gencives et les ongles des deux enfans, j’avais un droit incontestable à connaître les peines secrètes de leur mère. Cette certitude me donna confiance, et je lus la lettre que voici. Je l’ai prise sur moi comme un des meilleurs remèdes que je puisse apporter à vos dispositions douloureuses. Écoutez :

Le docteur tira lentement de son portefeuille une lettre excessivement jaune, et dont les angles et les plis s’ouvraient comme ceux d’une vieille carte géographique, et lut ce qui suit avec l’air d’un homme déterminé à ne pas faire grâce au malade d’une seule parole :