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LITTÉRATURE.

Et, plus le froid conteur était inaccessible aux émotions de son récit, plus Stello en était pénétré jusqu’à la moelle des os. Il éprouvait déjà l’influence de ce rude médecin des âmes, qui, par ses raisonnemens précis et ses insinuations préparatrices, l’avait toujours conduit à des conclusions inévitables. Les idées de Stello bouillonnaient dans sa tête et s’agitaient en tous sens ; mais elles ne pouvaient réussir à sortir du cercle redoutable où le docteur noir les avait enfermées, comme un magicien. Il s’indignait à l’histoire d’un pareil talent et d’un pareil dédain ; mais il hésitait à laisser déborder son indignation, se sentant comprimé d’avance par les argumens de fer de son ami. Des larmes gonflaient ses paupières, et il les retenait en fronçant les sourcils. Une fraternelle pitié remplissait son cœur. En conséquence, il fit ce que trop souvent l’on fait dans le monde, il n’en parla pas, et exprima une idée toute différente.

— Qui vous dit que j’aie pensé à une monarchie absolue et héréditaire, et que ce soit pour elle que j’aie médité quelque sacrifice ? D’ailleurs, pourquoi prendre cet exemple d’un homme oublié ? Combien, dans le même temps, n’eussiez-vous pas trouvé d’écrivains qui furent encouragés, comblés de faveurs, caressés et choyés ?

— À la condition de vendre leur pensée, reprit le docteur ; et je n’ai voulu vous parler de Gilbert que parce que cela m’a été une occasion de vous dévoiler la pensée-intime monarchique touchant messieurs les poètes, et nous convenons bien d’entendre par poètes tous les hommes de la Muse ou des Arts, comme vous le voudrez. J’ai pris cette pensée secrète sur le fait, comme je viens de vous le raconter, et je vous la transmets fidèlement. J’y ajouterai, si vous voulez bien, l’histoire de Kitty Bell, en cas que votre dévouement politique soit réservé à cette triple machine assez connue sous le nom de monarchie représentative. Je fus témoin de cette anecdote en 1770, c’est-à-dire dix ans précisément avant la fin de Gilbert.

— Hélas ! dit Stello, êtes-vous né sans entrailles ? N’êtes-