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ÎLE DE CUBA.

La police est très-mal faite, ou, pour mieux dire, il n’y en a pas. On n’ose pas sortir à la chute du jour, et à plus forte raison après dix heures, quand toutes les boutiques sont fermées : les voleurs et les assassins sont alors paisibles possesseurs des rues. L’éclairage public y est à peine connu : de loin en loin, une solitaire chandelle, dans une sale lanterne, jette une faible lumière à l’endroit où elle est suspendue ; mais tout, à l’entour, est plongé dans l’obscurité. Si encore on pouvait garder le milieu de la rue, peut-être, en se tenant bien sur ses gardes, éviterait-on d’être attaqué à l’improviste ; mais il faut suivre à tâtons le long des maisons, et le nègre ou le mulâtre perfide, caché dans quelque embrasure de porte, vous laisse passer et vous frappe par derrière, d’autant mieux que toute arme est défendue dans le pays, excepté un tromblon ou une grande rapière. Un nègre reçut un jour une once pour aller assassiner quelqu’un ; il vint chez cette personne, et lui dit : « Donnez-m’en une autre, et je vais tuer celui qui m’envoie chez vous. » Il la prit, et tint parole. Ces misérables assassinent souvent en plein jour, et presque toujours avec impunité. Si, étant attaqué, vous appelez du secours, à l’instant même tout le monde se cache ; les portes et les boutiques se ferment, et vous ne devez compter sur l’assistance de personne. Si vous êtes rencontré fuyant, on vous arrête l’épée sous la gorge, et on vous met en prison avec une foule de scélérats, auxquels vous tenez compagnie jusqu’au lendemain, où vous prouvez votre innocence. La raison qui fait ainsi fuir tout le monde quand on crie au secours, est d’abord la crainte d’une émeute, et de voir les boutiques pillées ; ensuite, c’est que, si la personne menacée vient à succomber, que le meurtrier s’évade,