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JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

perplexité ; au fond, il eût voulu, comme Locke et comme Kant, accorder le christianisme avec la raison et la philosophie ; mais il n’avait pas le bon sens paisible du premier, dont je ne doute pas qu’il n’ait lu le Christianisme raisonnable ; il n’avait pas non plus la profondeur du second : aussi oppose-t-il la religion à la philosophie ; il dégrade même cette dernière, et invective contre elle. « J’avoue que la sainteté de l’Évangile est un argument qui parle à mon cœur, et auquel j’aurais même regret de trouver quelque bonne réponse. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe : qu’ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu’un livre à la fois si sublime et si simple soit l’ouvrage des hommes ? Se peut-il que celui dont il fait l’histoire ne soit qu’un homme lui-même ? ........ Quels préjugés, quel aveuglement ou quelle mauvaise foi ne faut-il pas pour avoir osé comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie ! Quelle distance de l’un à l’autre ! Socrate, mourant sans douleur, sans ignominie, soutint jusqu’au bout son personnage ; et si cette facile mort n’eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu’un SOPHISTE… Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un dieu ........ Avec tout cela, ce même Évangile est plein de choses incroyables, de choses qui répugnent à la raison, et qu’il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni d’admettre. Que faire au milieu de toutes ces contradictions ? Être toujours modeste et circonspect, mon enfant : respecter en silence ce qu’on ne saurait ni rejeter ni comprendre, et s’humilier devant le grand Être qui seul sait la vérité[1]. » Quand Rousseau fait presque de Socrate un sophiste, quand il abaisse la philosophie pour élever la religion, il ne s’entend pas lui-même ; il ne voit pas qu’en ravalant l’esprit humain sous une face, il

  1. Profession de foi du Vicaire savoyard.