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LITTÉRATURE.

logé, a un merveilleux instinct pour découvrir la pâture qui lui est propre. John Jones, simple domestique d’un propriétaire de campagne du Yorkshire, ne put entendre parler de l’arrivée d’un des poètes modernes célèbres de l’Angleterre dans son voisinage, sans céder à ce besoin de célébrité et de sympathie qui tourmente toujours les âmes artistes. Il écrivit à Southey ; ce dernier consentit à devenir son éditeur, et fit précéder les Essais en vers du vieux domestique, et le récit de la vie de John Jones, écrit par lui-même avec une simplicité touchante, d’une biographie des poètes uneducated.

Le lauréat refusait le don de poésie aux ouvriers, ne l’accordant qu’aux laboureurs, aux bergers, aux domestiques, à tous ceux dont les occupations favorisent ou permettent la vie contemplative. Il prétendait que la marche de l’industrie humaine, portant pour bannière des traités d’hydrostatique, ayant des voitures à vapeur pour cavalerie, et des corps de métier pour armée, devait effaroucher les muses. Cette assertion trouva un prompt démenti. À Sheffield, au centre des fonderies, des manufactures de coutellerie, de quincaillerie, où, pendant six jours de la semaine, du matin au soir résonne l’impitoyable marteau, il s’est rencontré un poète auquel ce bruit assourdissant n’a point imposé silence. Un pauvre artisan, membre de la Société contre la taxe du pain, a composé des rimes sur les lois qui gênent le commerce des blés. Sujet, auteur, tout semble assurément bien prosaïque ; mais où n’y a-t-il pas quelque poésie cachée ? La goûter est une jouissance offerte à tous, l’extraire est le lot d’un bien petit nombre : les fleurs ouvrent à tous leur calice odorant et sucré, l’abeille seule en sait tirer le miel.

The Ranter (le Sectaire), tel est le titre du poème de l’ouvrier de Sheffield. Dès l’abord, le pauvre auteur s’épanouit d’une façon touchante sur les joies du jour de repos, du dimanche.

Le travail des six jours est fait : il dort ; il rêve
Au dimanche, aux champs verts, à la déserte grève,