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UNE COURSE DE TAUREAUX.

On n’eut pas le loisir d’admirer convenablement ce dévouement généreux, bien qu’un peu tardif.

On savait déjà partout que le taureau venait d’être tué. Le mouvement rétrograde s’arrêtait. Il revint quelque confiance ; la foule rentra peu à peu dans son lit. Chacun reprit, non pas précisément sa place, mais celle qu’il trouva libre. On accourut se rasseoir confusément et sans ordre ; les gradas cubiertas surtout, et les rangs supérieurs du tendido richement garnis, aux dépens des bancs inférieurs, qui, plus rapprochés de l’arène, n’inspiraient qu’une médiocre confiance.

Néanmoins la tempête n’était pas encore complétement apaisée. Une sourde rumeur régnait dans toute l’enceinte de la place. C’était comme ce bourdonnement d’abeilles se pressant dans leur ruche, après quelque invasion de son domaine. Il y avait eu cependant peu de blessés. Ceux qui, ayant été renversés et foulés aux pieds, se pouvaient tenir encore sur leurs jambes, ne laissaient pas de revenir. Les femmes surtout étaient de ce nombre. On les voyait rentrer et chercher à se replacer, bien que tremblantes encore et toutes bouleversées. Quant aux hommes, ils faisaient une consommation prodigieuse de cigarritos, usant sans doute du tabac, comme d’un calmant.

C’était une fumée à ne plus s’y voir.


Quant à moi, dans cette occurrence, lors même que j’aurais eu l’idée de m’en fuir, j’eusse été singulièrement empêché par ma voisine. C’était une jolie manola[1], une toute jeune fille, fort brune, aux yeux noirs et chargés de vapeur, auprès de laquelle m’avait placé le numéro de mon billet, au premier rang des gradas cubiertas. Nous avions

  1. Grisette