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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

écartellement des deux jambes, se renversant pour éclater de rire à chaque coup qu’il donne sur le coin impitoyable ; chacun de ces coups fait dans ma cervelle le bruit de cinq cents quatre-vingt-quatorze canons en batterie tirant à la fois sur cinq cents quatre-vingt-quatorze mille hommes qui les chargent au bruit des fusils, des tambours et des tamtams. À chaque coup, mes yeux se ferment, mes oreilles tremblent, et la plante de mes pieds frémit. — Hélas ! hélas ! mon Dieu, pourquoi avez-vous permis à ces petits monstres de s’attaquer à cette bosse du merveilleux ? C’était la plus grosse sur toute ma tête, et celle qui me fit faire quelques poèmes qui m’élevaient l’âme vers le ciel inconnu, comme aussi toutes mes plus chères et secrètes folies. S’ils la détruisent, que me restera-t-il en ce monde ténébreux ? Cette protubérance toute divine me donna toujours d’ineffables consolations. Elle est comme un petit dôme sous lequel va se blotir mon âme pour se contempler et se connaître, s’il se peut ; pour gémir et pour prier, pour s’éblouir intérieurement avec des tableaux purs comme ceux de Raphaël, au nom d’ange, colorés comme ceux de Rubens, au nom rougissant (miraculeuse rencontre !). C’était là que mon âme apaisée trouvait mille poétiques illusions dont je traçais de mon mieux le souvenir sur du papier ; et voilà que cet asile est encore attaqué par ces infernales et invisibles puissances : redoutables enfans du chagrin, que vous ai-je fait ? ô démons glacés et agiles, qui courez sur chacun de mes nerfs en le refroidissant, et glissez sur cette corde, comme d’habiles danseurs ! — Ah ! mon ami, si vous pouviez voir sur ma tête ces impitoyables farfadets, vous concevriez à peine qu’il me soit possible de supporter la vie. Tenez, les voilà tous à présent réunis, amoncelés, accumulés sur la bosse de l’espérance ; qu’il y a long-temps qu’ils travaillent et labourent cette montagne, jetant au vent ce qu’ils en arrachent ! Hélas ! mon ami, ils en ont fait une vallée si creuse que vous y logeriez la main tout entière.

En prononçant ces dernières paroles, Stello baissa la tête,