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LITTÉRATURE.

depuis qu’elle avait recouvré toute la fraîcheur de la jeunesse et sa merveilleuse beauté, se serra près d’elle à la façon des amans. Lorsqu’il essaya de la prendre dans ses bras, elle se dégagea doucement, et trouva je ne sais quel prétexte de fatigue pour éviter cette innocente caresse ; puis bientôt elle eut horreur du contact de Victor, dont elle sentait et partageait la chaleur, par la manière dont ils étaient assis. Elle voulut se mettre seule sur le devant de la voiture ; mais son mari lui fit la grâce de la laisser dans le fond. Elle le remercia de cette attention par un soupir auquel il se méprit ; et cet ancien séducteur de garnison, interprétant à son avantage la mélancolie de sa femme, il la mit à la fin du jour dans l’obligation de lui dire avec une fermeté qui lui imposa :

— Mon ami, vous avez déjà failli me tuer, vous le savez. Si j’étais encore jeune fille sans expérience, je pourrais recommencer le sacrifice de ma vie ; mais je suis mère, j’ai une fille à élever. Je me dois autant à elle qu’à vous. Subissons un malheur qui nous atteint également. Vous êtes le moins à plaindre, puisque vous avez su trouver des consolations que mon devoir, notre honneur commun, et, mieux que cela, la nature m’interdisent.

— Tenez !… ajouta-t-elle, vous avez étourdiment oublié dans un tiroir trois lettres de madame de Roulay : les voici. Ceci vous prouvera que vous avez en moi une femme pleine d’indulgence, et qui n’exigeait pas de vous les sacrifices que les lois nous condamnent à faire ; mais j’ai assez réfléchi pour savoir que nos rôles ne sont pas les mêmes, et que nous sommes prédestinées au malheur. Ma vertu repose sur des principes arrêtés et fixes ; je veux vivre, mais vivre irréprochable.

Le marquis fut abasourdi par la logique dont les femmes savent étudier toutes les ressources aux clartés de l’amour ; il fut subjugué par l’espèce de dignité qui leur est naturelle dans ces sortes de crises. La répulsion instinctive que Julie manifestait pour tout ce qui froissait son amour et les vœux de son cœur est certes une des plus belles choses de la femme,