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BARNAVE.

et celle-ci, Éliza et Hélène, Hélène et Éliza. Eh bien donc ! lecteurs, livrez-vous à ce guide, aussi capricieux qu’une ondine ; ne le troublez pas, ne le hâtez pas dans ses divagations sinueuses ; ne l’arrêtez pas court, ne lui tirez ni la manche ni le pan de l’habit ; ne lui demandez aucun compte ; mettez-vous à sa suite dans le récit, comme lui-même, dans sa vie, il se met à la suite de son idée, de son fantôme, de la première impression venue, du papillon qui vole, de la mouche d’azur qui étincelle, de Fanchon en cornette, du fou de la reine qui passe, de Mirabeau, de Barnave, dont les astres opposés, dont les deux nuages tonnans le repoussent, l’attirent tour à tour, et le ballottent de l’un à l’autre comme un grêlon retentissant. — Et le lecteur docile a déjà fait cela : il est allé à la cour de l’empereur Joseph ; il l’a quittée sans regret, et avec une brusquerie impertinente ; il s’est embarqué en chaise de poste pour Paris. — Par quelle route ? — Qu’est-ce que votre route lui fait au lecteur ? Son voyageur s’en inquiète à peine, lui encore moins. La chaise de poste casse ; le pays où l’on est ressemble à la Flandre. — La Flandre !… pourquoi ? C’était donc le droit chemin pour arriver de Vienne à Paris ? — Au diable le pourquoi ! On est en Flandre, en pleine Flandre : je l’aime bien mieux ainsi ; Fanchon en sera plus fraîche, plus épanouie, plus avenante ; sa bonne vieille mère en sera moins sèchement ridée et d’une rusticité mieux nourrie ; l’intérieur de la chaumière y gagnera en propreté ; le baiser des deux femmes, en arc-en-ciel, sur la tête du pauvre blessé à moitié endormi, deviendra, par là même, plus gracieux dans sa composition arrangée ; en un mot, notre Sterne, notre Gérard Dow, comme l’auteur en sait faire avec la même curiosité et une nuance vaporeuse qui n’est qu’à lui, s’exécutera mieux de la sorte, et c’est là surtout ce qu’il nous faut. — Ainsi va le lecteur débonnaire, au gré de cette langue dorée qui le leurre sans reprendre haleine et ne lui donne pas le temps d’avoir l’idée de parler. On est à Paris : le côté artiste en guenilles, marquis ou abbé en goguette ; le côté corrompu du cabaret, de la petite mai-