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LE RENDEZ-VOUS.

grès qui ont étonné même les professeurs de Montpellier ; l’étude l’a consolé de sa captivité, et en même temps il s’est radicalement guéri. On prétend qu’il est resté deux ans sans parler, respirant rarement, demeurant couché dans une étable, buvant le lait d’une vache venue de Suisse, et vivant de cresson. Depuis qu’il est à Tours, il n’a vu personne. Il est fier comme un paon. Mais vous avez certainement fait sa conquête, car ce n’est probablement pas pour moi qu’il passe sous nos fenêtres deux fois par jour depuis que vous êtes ici… Il vous aime…

Ces derniers mots réveillèrent la comtesse comme par magie. Elle laissa échapper un geste et un sourire qui étonnèrent la marquise. Loin de témoigner cette satisfaction instinctive, ressentie même par la femme la plus sévère quand elle apprend qu’elle fait un malheureux, le regard de Julie fut terne et froid. Son visage indiquait un sentiment de répulsion voisin de l’horreur. Cette proscription n’était pas celle dont une femme aimante frappe le monde entier au profit d’un seul être ; alors elle sait rire et plaisanter… Non, Julie était en ce moment comme une personne à qui le souvenir d’un danger trop vivement présent en fait ressentir encore la douleur…

La marquise, bien convaincue que sa nièce n’aimait pas son neveu, fut stupéfaite en découvrant qu’elle n’aimait personne. Elle trembla d’avoir à reconnaître en Julie un cœur désenchanté, une jeune femme à qui l’expérience d’un jour, d’une nuit peut-être, avait suffi pour apprécier la nullité de Victor.

— Si elle le connaît, c’est fini !… se dit-elle.

Alors elle se proposait déjà de la convertir aux doctrines monarchiques du siècle de Louis xv ; mais quelques heures plus tard, elle apprit, ou plutôt elle devina la situation assez commune à laquelle la comtesse devait sa mélancolie.

Julie, devenue tout à coup pensive, se retira chez elle plus tôt que de coutume. Quand sa femme de chambre l’eut déshabillée et l’eut laissée prête à se coucher, elle resta devant