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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

objets de la propriété ; qu’en ce sens le développement de la propriété soit changeant et progressif, nul doute, mais les conditions nécessaires imposées par la nature humaine resteront toujours à remplir.

Un homme d’un esprit tout-à-fait original, spectateur attentif de la révolution française et de la civilisation américaine, Saint-Simon, a émis cette pensée : la féodalité a créé la propriété foncière, elle a organisé l’Europe ; à la féodalité succède un âge nouveau, l’industrie ; les descendans des conquérans sont les travailleurs ; le règne de la conquête est fini ; le temps du travail, de l’industrie commence ; l’idée et le respect de la propriété foncière doivent faire place à l’idée et au respect de la production. Cette vue est profondément philosophique ; elle n’a d’autre tort que de ne pas l’être encore assez. Quelle est la véritable source de la propriété ? la pensée de l’homme. Son moyen d’exécution ? la volonté. Ses trois théâtres ? la nature, la famille et l’État. La conquête que les philosophes condamnent n’est autre chose que le développement de l’activité humaine ; l’industrie n’est elle-même qu’un mode de cette activité qui, venu le dernier, frappe plus vivement les esprits, mais qui n’est pas la pensée elle-même, et n’est pas destinée à rester sur le premier plan de l’histoire ; comme la féodalité, elle est un passage à autre chose.

Le christianisme, qui a développé dans l’homme la conscience individuelle, a fortifié nécessairement le sentiment de la propriété, loin de vouloir le combattre et l’anéantir ; et ici je parle du christianisme social, et non pas d’un mysticisme secret et illuminé.

Vouloir supplanter l’idée de propriété par l’idée de production, c’est confondre deux ordres de choses différens, l’économie politique et la législation. Sans doute il serait commode, pour arriver à une distribution plus égale et plus aisée des produits, de supprimer despotiquement les sentimens, les droits et les délicatesses de la nature humaine : mais la société ne saurait être une manufacture pas plus qu’elle