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DE LA PROPRIÉTÉ.

le clergé ne fût pas devenu propriétaire, comment eût-il obtenu l’estime des peuples ? Où aurait été son autorité, son utilité ?

Voici un spectacle nouveau : la propriété venait d’être la récompense et la conquête de la victoire irritée ; elle est maintenant l’hommage volontaire des peuples, rendu à la supériorité pacifique de l’intelligence et de la religion. De toutes parts on donne à l’Église à pleines mains ; les donations, les testamens ne se dressent que pour elle ; le territoire se couvre de fondations aussi bien que de fiefs : alors ces hommes de l’Église choisissaient des situations pittoresques ; tantôt s’établissant au haut d’une montagne, ils y mettaient le signe de Dieu, un monastère ; tantôt ils cachaient au fond d’une vallée une société de cénobites intelligens et pieux, dont tout le voisinage recevait la salutaire influence. C’est par les fondations que l’Europe moderne s’est civilisée. Sans richesses et sans propriétés, l’Église eût été impuissante ; elle n’eût pu défricher les terres, ni les manuscrits. Voilà pourquoi le clergé dut être propriétaire. Attendez un moment, et vous verrez disparaître la légitimité de son titre.

Qu’était-il devenu au xviiie siècle ? Tempérons ici la sévérité de l’histoire ; mais sans foi et sans mœurs, incapable de doctrines comme de vertus, il nous présentait pour successeurs aux pontifes qui avaient civilisé la Gaule, de petits abbés ridicules, jouet et délices des boudoirs. Alors la société française lui demanda, par ses représentans, en vertu de quel titre il possédait : question formidable que toute association adresse tôt ou tard aux individualités dont elle se compose. Le clergé parla des services qu’il avait rendus, rappela qu’il avait civilisé le monde, qu’ensuite il possédait, et qu’en ôtant à chaque possesseur ses biens, on violerait le droit des individus. Quelle fut la réponse de la révolution ? — « Vous avez civilisé le monde, et c’est pour cela qu’on vous a donné vos biens ; c’était à la fois, entre vos mains, un instrument et une récompense ; mais vous ne la méritez plus, car depuis long-temps vous avez cessé de civiliser quoi que ce