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VOYAGES.


parent du rabat, on accorde au rabit son affranchissement ; on coupe les lanières qui retiennent ses cheveux, on le débarrasse de ses liens, et on le met en liberté. Quelquefois il trouve moyen de se dégager de ses chaînes pendant l’absence du rabat. Dans ce cas, il s’évade de nuit, et se réfugie dans la tente la plus voisine. Là il se déclare le dakhil de la première personne qui s’offre à lui, et recouvre ainsi sa liberté. Cependant cela arrive rarement, parce que le prisonnier reçoit toujours une si modique ration de nourriture, que la faiblesse de son corps le rend, en général, incapable de faire aucun effort ex-

    délivrance. Son maître l’avait rudement frappé en présence d’un Arabe qui eut pitié de son sort et résolut de le sauver. L’Arabe divisa une datte en deux, en mangea la moitié et donna l’autre à une femme qui était occupée à moudre du blé devant la tente, la priant, en peu de mots, de faire en sorte que cette portion de datte tombât entre les mains du prisonnier. Par un heureux stratagème, elle commença aussitôt une chanson du genre de celles que chantent les femmes pour se récréer quand elles travaillent, et y glissa adroitement certains mots qui faisaient une allusion indirecte au sujet en question. Dès qu’elle eut lieu de croire que le prisonnier comprenait cette mystérieuse communication, elle jeta, sans être aperçue, le morceau de datte dans la fosse où il était couché, ayant en ce moment les mains libres. Le prisonnier avala une portion de la datte, et lorsqu’il vit un grand nombre de personnes rassemblées devant la tente, il les appela à haute voix, demandant à être mis en liberté, puisqu’il avait mangé avec un tel, qui avait partagé la datte avec lui. Le maître accourut précipitamment, contesta la vérité de son assertion, et frappa le prisonnier. Mais la personne qui lui avait donné cette marque d’intérêt vint confirmer le fait en litige. Le maître exigea alors que son prisonnier montrât une portion de la datte pour prouver son assertion. Aussitôt celui-ci présenta le fragment, qu’il avait caché dans un endroit que la décence ne permet pas de désigner d’une manière précise. Il avait pris cette précaution, craignant qu’on ne découvrît le morceau de datte avant l’arrivée de son libérateur. Après qu’il eut ainsi prouvé d’une manière satisfaisante qu’il avait mangé de la même datte qu’un autre Arabe de la tribu, le maître fut obligé de lui rendre sa liberté.

    (Note de Burkhardt.)