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ANECDOTES SUR ALGER.

trop de périls. Seul, le général en chef conserve un grand calme, et frottant sa tabatière, donne lentement des ordres prudens, et réfléchit à ce qu’il aura à faire, s’il reste sans vaisseaux comme Fernand-Cortès ou comme Bonaparte.

Mais le vent tourne, et le soldat chante, rit et boit. — Voilà un brick joyeux chargé de bons vins. Il a sa salle à manger pleine de bonnes choses, du vin de Champagne, des pâtés de Strasbourg, des truffes du Périgord. (Ah ! M. de Félez des Débats et du Périgord, où êtes-vous ?) Le brick est tout illuminé le soir par la flamme bleue des bols de punch ; c’est Tortoni la nuit, c’est le café de Chartres au matin. Les tirailleurs élégans du faubourg Saint-Germain y reviennent blessés, et en se moquant des Arabes ; ils reviennent de la chasse aux Bédouins, et appellent à grands cris le capitaine du brick-restaurant. Il répond au nom d’Hennequin. Cet Hennequin-là n’a pas perdu son temps à faire des tableaux comme l’autre, à représenter Oreste et ses furies, et son inévitable mère ; il a ma foi trop de sens pour cela ; Hennequin, le pourvoyeur de Nantes, est un penseur plus profond ; il a senti que les gastronomes s’embarquaient, il l’a senti à la démangeaison de ses pouces, comme la sorcière de Macbeth ; il l’a senti comme M. Ouvrard sentit que la révolution ferait beaucoup écrire, et que le papier se vendrait cher. Hennequin s’est armé en guerre. À moi, pâtés d’Amiens, de Chartres et d’Angoulême ! à moi, saucissons de Provence ! à moi, blanquette de Limoux ! Venez civiliser l’Afrique… Et il est parti, et son brick a fait fortune dans la baie orageuse de Sidi-Ferruch, où il a passé comme un Ariel, un bienfaisant esprit des eaux. — Puisse le philantropique M. Hennequin avoir fait fortune comme son brick !

Mais voici Staoueli. On se bat. Les soldats de la fatalité ébranlent un moment ceux qui ne sont plus soldats de la foi, mais de l’honneur toujours. Un colonel crie au drapeau ! sauve son régiment, commence la victoire. M. de Bourmont l’achève avec des ordres bien donnés.

Puis une scène de nuit. — Qu’est-ce que cela ? — Une tente. Hélas ! oui. Une petite tente d’officier. Un brave enfant qui