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LITTÉRATURE CRITIQUE.

Un jour le dey étendit la main, et donna un coup de chasse-mouche à l’envoyé du vieux roi. Le vieux roi dit à l’un de ses capitaines :

« Tu partiras avec tes quatre fils et cent vaisseaux de ton roi ; tu prendras la ville du dey, tu y établiras mes guerriers qui ne savent que faire, et tu m’enverras le trésor du dey sans en garder un sequin zermahboub, ni un Médin[1]. »

Or le capitaine partit.

Il partit avec ses quatre fils et les cent vaisseaux de son roi ; il prit la ville du dey, y établit les guerriers qui ne savaient que faire, et envoya le trésor du dey sans en garder un sequin zermahboub, ni un Médin.

Mais il arriva que le peuple le plus aimable de la terre égorgea gaiement les gardes du vieux roi, et le chassa précisément au moment où ses guerriers chassaient en riant le vieux dey.

Et le capitaine fut condamné à errer comme Sindbad le marin, en punition de ce qu’il avait sacrifié un de ses quatre fils à la gloire du plus aimable peuple de la terre.

Or, le vieux dey, qui ne savait que faire, non plus que les soldats ses vainqueurs, s’en vint voir le pays du vieux roi, avec ses femmes, ses enfans, ses diamans et ses lunettes.

— Qu’est-ce que lunettes ? interrompit le sultan avec une haute sagesse.

— Ce sont des yeux de verre, répondit la prudente Shéhérazade, qui se posent par-dessus les autres, et qui les dévorent peu à peu, de sorte que les chiens de chrétiens deviennent aveugles long-temps avant la vieillesse.

— Dieu est Dieu, dit judicieusement le Sultan ; ils méritent cette punition pour regarder nos femmes à travers les grilles du harem et les yeux du Borkô[2], mais pourquoi un vrai croyant y était-il condamné ?

— Si sa hautesse le permet, dit Shéhérazade, je lui dirai

  1. Le sequin zermahboub vaut six francs ; le médin vaut un peu moins qu’un sou.
  2. Voile que portent les femmes de l’orient dans les rues.