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SAYNÈTE.

de ma mère auraient servi à faire de ma femme votre maîtresse, si elle avait voulu la devenir.

Le Comte.

En vérité, don Félix, je m’étonne moi-même : je suis venu ici pour donner des ordres, et je reçois des injures de mon fils ! Cette colère que je concentre éclatera d’autant plus terrible, songez-y bien.

Don Félix.

Non, elle n’éclatera pas, mon père : il est impossible que nous soyons tous malheureux par vous… Voyez ce que vous faites, et où vous allez, où nous allons tous deux. Je n’ose le prévoir… Tout ce que les hommes ont de passions les plus violentes vont lutter en nous, et les passions, songez-y bien, se combattent avec des crimes… et, entre père et fils, quels crimes peut-on imaginer sans que les cheveux vous dressent sur la tête ? Nous sommes sur une route trop étroite pour deux : entre des précipices, il faut que l’un recule ou soit précipité dans le gouffre… Et cette route est la route qui m’appartient, à moi : elle me mène à la paix, au bonheur… Vous, elle ne vous mène qu’au crime, et ce n’est pas un but… car ce ne peut être le bonheur… Mon père… au nom du ciel, vivons avec tranquillité, sinon avec amour… je vous en supplie… à genoux, s’il le faut.

Le Comte.

Relevez-vous, don Félix ; moins de servilité et plus d’obéissance ; vous savez si j’ai jamais révoqué un ordre. Relevez-vous.

Don Félix.

Mon père, accordez-moi ce que je vous demande, au nom de tout ce qu’il y a de plus sacré au monde !… Votre fils est à vos genoux… Si vous me refusez, ce n’est plus votre fils qui se relèvera…

Le Comte.

Va-t’en, va-t’en ; laisse-moi… Ne m’approche pas tant… Don Félix, je t’ordonne de partir aujourd’hui même pour mon château d’Amarillas, et d’y rester deux mois…