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LES ALPES.

que toute grande chose imprime à ce qui l’environne ; méditez sur ce sommet, qui est bien véritablement, pour me servir de la fabuleuse expression des poètes, une des extrémités de la terre ; songez à cette frappante accumulation dans un cercle si restreint de tant d’objets uniques à voir, et vous croirez, en pénétrant dans la vallée de Chamonix, entrer, si je puis me permettre une expression triviale qui rend un peu mon idée, dans le cabinet de curiosités de la nature, dans une sorte de laboratoire divin où la Providence tient en réserve un échantillon de tous les phénomènes de la création, ou plutôt dans un mystérieux sanctuaire où reposent les élémens du monde visible.

Le jour où nous y arrivâmes, c’était le 15 août, fête de l’Assomption. Nous descendions rapidement le revers de la montagne, les yeux fixés comme magiquement sur le magnifique tableau de cette vallée, enfin ouverte à nos regards. Tout à coup un détour du chemin nous fit voir un autre spectacle. À nos pieds, dans la verte plaine, sur la pente de la colline qui élève l’église des Ouches au-dessus de son village, se développaient en serpentant deux files de villageois les mains jointes, de jeunes filles voilées, et d’enfans, précédés de quelques prêtres et d’une croix. C’était une procession qui revenait du Prieuré aux Ouches en répétant les litanies de sainte Marie, mère de Dieu. Le vent nous apportait de temps à autre un écho entrecoupé de leurs chants. Je ne saurais dire quelle impression profonde vint sceller en quelque sorte les impressions qui m’accablaient, et les rendre ineffaçables. J’aurai ce souvenir présent toute ma vie. En ce moment là, tous les bruits des Alpes se déployaient dans la vallée ; l’Arve bouillonnait sur sa couche de rochers, les torrens grondaient,