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ALBUM.

Delorme, c’est avec l’âpre talent de Bocage qu’il faut juger le personnage de Didier.

Cette fois encore ces deux excellens comédiens ont ajouté à leur haute réputation, et ont justifié le choix qu’ont fait d’eux les deux jeunes auteurs qui leur ont confié leurs ouvrages.

Redisons-le donc, car on ne saurait trop le redire.

Succès immense, succès mérité, en dépit de ceux qui prétendent que le drame n’est plus possible, et devant lesquels il ne suffit pas de marcher pour prouver le mouvement. Au lieu de nous étendre sur ce sujet, nous substituerons à notre prose celle de l’auteur de Marion Delorme ; qui trouve naturellement ici sa place. Nous l’empruntons à la préface de son drame.

« Le public, cela devait être, et cela est, n’a jamais été meilleur, n’a jamais été plus intelligent et plus éclairé qu’en ce moment ; les révolutions ont cela de bon, qu’elles mûrissent vite, et à la fois et de tous côtés tous les esprits. Dans un temps comme le nôtre, en deux ans, l’instinct des masses devient goût. Les misérables mots à querelle, classique et romantique, sont tombés dans l’abîme de 1830, comme gluckiste et picciniste dans le gouffre de 89. L’art seul est resté. Pour l’artiste qui étudie le public, et il faut l’étudier sans cesse, c’est un grand encouragement de sentir se développer chaque jour au fond des masses une intelligence de plus en plus sérieuse et profonde de ce qui convient à ce siècle, en littérature non moins qu’en politique. C’est un beau spectacle de voir le public, harcelé par tant d’intérêts matériels qui le prennent et le tiraillent sans relâche, accourir en foule aux premières transformations de l’art qui se renouvelle, lors même qu’elles sont aussi incomplètes et aussi défectueuses que celle-ci. On le sent attentif, sympathique, plein de bon vouloir, soit qu’on lui fasse dans une scène d’histoire la leçon du passé, soit qu’on lui fasse dans un drame de passion la leçon de tous les temps. Certes, selon nous, jamais moment n’a été plus propice au drame. Ce serait l’heure pour celui à qui Dieu en aurait donné le génie, de créer tout un théâtre, un théâtre vaste et simple, un et varié, national par l’histoire, populaire par la vérité, humain, naturel, universel par la passion. Poètes dramatiques, à l’œuvre ! elle est belle, elle est haute. Vous avez affaire à un grand peuple habitué aux grandes choses. Il en a vu et il en a fait.