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CHRONIQUE HÉBRAÏQUE.

d’hommes qui s’excitent les uns les autres, qui s’avancent furieux vers une frêle femme, la remplissent de terreur ; épouvantée, égarée, elle parcourt des yeux l’enceinte vivante qui la presse ; elle veut fuir !

Fuir ! par où ? de quel côté ? Toutes les avenues sont envahies, encombrées par un peuple délirant… Seigneur Dieu ! Ici, là, là bas aussi ! partout la mort !

Un seul regard est arrêté sur elle avec amour, avec angoisse ; un seul cœur a compris, a partagé sa douleur, un seul homme est immobile près d’elle : c’est le seul qu’elle ne voit pas.

Le tumulte augmente, le supplice approche ! Il s’est dressé de toute sa hauteur, il étend sa main de fer sur la victime qui l’attend !

Enfin une pierre est lancée ; elle siffle, fend l’air, et vient frapper le sol non loin de Tirtza.

— Dieu d’Israël, reçois mon âme ! s’écrie la jeune et malheureuse divorcée ; et enveloppant dans son voile sa figure glacée, elle tomba presque morte.

Pourtant ses sens ne l’abandonnèrent pas entièrement, car il lui sembla que quelqu’un se glissait près d’elle, que deux bras entouraient sa taille, soutenaient son corps, et au même instant elle éprouva une commotion violente à la tête, le temple tournoya sur sa base, la terre s’enfuit sous elle ; elle ne sentit plus rien !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Non loin des murs de Jérusalem, on voit encore, à la porte du cimetière des Hébreux, deux pierres grises et rongées par le temps ; la mousse les recouvre ; en l’écartant, on n’aperçoit ni nom ni date ; mais l’histoire de ces deux victimes s’est conservée par tradition. La mère la raconte encore à sa fille au moment de la fiancer, et l’époux qu’une absence oblige à quitter sa jeune femme lui redit d’un air d’indifférence la fin malheureuse de Tirtza et de l’étranger Nephtali.


Eugénie Foa.