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ÉPOPÉE DES BOHÊMES.

femmes : une seule compagne doit nous suivre depuis Wesna jusqu’à Morana[1].

» Du fond des bois ils chassent les éperviers, et devant les dieux, tels que les étrangers les adorent, il faut nous prosterner, leur apporter leurs offrandes. Il ne faut plus frapper nos fronts devant les dieux, leur apporter leur nourriture à l’approche du soir, là où notre père apportait leur nourriture aux dieux, où il allait pour chanter leurs louanges. Oui, ils ont abattu tous les arbres, ils ont brisé et effeuillé tous les dieux.

» Zaboj, tu as chanté, chanté du cœur au cœur, du fond de la douleur ; chante ton chant comme Lumir, qui, par des paroles et par des chants, ébranle le Wysehrad[2] et toutes les contrées d’alentour. Ainsi toi, tu m’ébranles moi et tous nos frères. Oui, les dieux aiment le vaillant chantre. Chante, car c’est à toi qu’il a été donné de chanter du fond du cœur contre notre ennemi.

» Zaboj lance aux Slaves un regard ardent de flamme, et trouble leur cœur en continuant de chanter :

» Deux enfans, dont la voix vient à peine de prendre l’accent de l’homme, sont sortis du bois. Là, avec le glaive et la hache d’armes, ils exercent leurs bras ; là ils se tiennent en secret ; de là ils reviennent dans la joie, et quand leurs bras se sont raidis à la manière des hommes, quand leur esprit s’est aguerri à la manière des hommes contre leurs ennemis, quand les autres frères aussi sont devenus grands, ah ! tous ont fondu sur l’ennemi, et leur colère a été la tempête du ciel, et au pays est revenue, est revenue sa gloire passée. »

» Ah ! tous se sont élancés vers Zaboj, ils l’ont pressé dans leurs bras vigoureux, et du cœur au cœur ils ont étendu leurs mains, et un mot va prudemment de l’un à l’autre, et la nuit se retire devant le matin ; et ils sortent un à un de la vallée, au loin le long des arbres, au loin de tous les côtés du bois.

  1. Wesna, déesse de la jeunesse. Morana, déesse de la mort.
  2. Ancienne demeure des rois de Bohême.