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LITTÉRATURE.

il lui partage les épaules et la poitrine, et le cadavre tombe à ses pieds. Sur lui les arcs et les carquois retentissent.

» Le peuple sauvage des Tartares s’en épouvante ; il jette loin de lui ses javelots longs de six pieds, et il court, et il se hâte tant qu’il peut du côté d’où le soleil se lève brillant. Et le Hana fut délivré de la colère des Tartares. »

Ainsi ces poèmes nationaux touchent, d’un côté, avec l’histoire de la Bohême, aux premiers temps de l’histoire d’Allemagne, et atteignent, de l’autre, les hauteurs de la Mongolie et les révolutions tartares. Ils enferment, sous une forme idéale, les principaux événemens qui ont marqué la vie de ce peuple, et ils ne sont rien autre qu’un chant toujours prolongé d’une génération à une autre génération dans le sein d’une même tribu. Autant qu’aucune poésie, ils ont l’empreinte du temps et du climat d’où ils sortent. Ce n’est pas le vers homérique, large et tranquille comme le marbre dans sa couche, qui se balance comme la mer de Pylos dans sa rade, qui rejaillit comme un rayon doré sur l’acropole de Corinthe. Ce n’est pas le Shanameh qui s’étend sans fin comme un conte sous la tente dans les nuits de l’Asie, qui bondit comme un cimeterre nu dans la main d’un delhi ; ce n’est pas le Ramayuna qui s’épanouit nonchalamment dans le calice du lotus, qui s’égare dans les forêts des palmites, au loin, sous les savannes de Cachemire. Ce ne sont pas les Nibelungen qui s’écoulent lentement comme les flots du Rhin à Worms, qui s’amoncèlent pesamment comme les nuages sur les sommets de la forêt Noire, qui retentissent tristement comme le sol sous un cheval caparaçonné. Ce ne sont pas les poèmes d’Artus qui soupirent à tous les vents comme un bouleau sur les tours d’un vieux château de Bretagne, qui replient leurs anneaux comme un serpent sur les pierres druidiques de Jarnac ou d’Irlande. Les poèmes bohémiens ne ressemblent à aucun de ces poèmes. Ils s’en séparent d’abord par leur rapidité fougueuse. Échevelés comme les cavales des Sarmates et des Scythes, ils courent, ils courent sans savoir où. De brèves paroles, dont le vent emporte