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LITTÉRATURE.

mille pièces le pavillon couleur de rose, guitares, cassolettes, soupirs et mandores ; il ne resta debout que deux ou trois poètes.

On continua de se voir isolément et de s’aimer à distance. Hugo travaillait dans la retraite, et se dessinait de plus en plus. Vers 1828, à cette époque que nous avons appelée le moment calme et sensé de la restauration, le public avait fait de grands progrès ; l’exaspération des partis, soit lassitude, soit sagesse, avait cédé à un désir infini de voir, de comprendre et de juger. Les romans, les vers, la littérature étaient devenus l’aliment des conversations, des loisirs, et mille indices, éclos, comme un mirage, à l’horizon, et réfléchis à la surface de la société, semblaient promettre un âge de paisible développement où la voix des poètes serait entendue. Autour de Hugo, et dans l’abandon d’une intimité charmante, il s’en était formé un très-petit nombre de nouveaux ; deux ou trois des anciens s’étaient rapprochés, on devisait les soirs ensemble, on se laissait aller à l’illusion flatteuse qui n’était, après tout, qu’un vœu ; on comptait sur un âge meilleur qu’on se figurait facile et prochain ; dans cette confiante indifférence le présent échappait inaperçu, la fantaisie allait ailleurs ; le vrai moyen âge était étudié, senti, dans son architecture, dans ses chroniques, dans sa vivacité pittoresque ; il y avait un sculpteur, un peintre parmi ces poètes, et Hugo qui, de ciselure et de couleur, rivalisait avec tous deux. Les soirées de cette belle saison des Orientales se passaient innocemment à aller voir coucher le soleil dans la plaine, à contempler du haut des tours de Notre-Dame les reflets sanglans de l’astre sur les eaux du fleuve ; puis, au retour, à se lire les vers qu’on avait composés. Ainsi les palettes se chargeaient à l’envi, ainsi s’amassaient les souvenirs. L’hiver, on eut quelques réunions plus arrangées, qui rappelèrent peut-être par momens certains travers de l’ancienne Muse, et l’auteur de cet article doit lui-même se reprocher d’avoir trop poussé à l’idée du Cénacle, en le célébrant. Quoi qu’il en soit, cette année amena pour Victor